Cette courte note propose de décrypter un graphique marquant, en lien avec l’actualité économique. Depuis le 7 mars 2025, les Etats-Unis et les marchés financiers sont pris par un terrible doute : la Récession menace-t-elle l’activité ? Ce Killer Chart revient sur la situation économique du pays pour tenter d’apporter un éclairage à cette question.
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Pourquoi c’est intéressant ?
En mars 2025, l’indicateur d’incertitude de politique économique aux Etats-Unis (IPE, courbe en bleu sur le Killer Chart) a brusquement augmenter. Dans le même temps la volatilité sur les marchés boursiers américains s’est accrue, avec notamment des pertes importantes du S&P500 le lundi 10 mars 2025.
L’IPE a eu tendance à particulièrement augmenter, en lien avec la conduite de la politique du Président D. Trump concernant les droits de douane. Après avoir annoncé une hausse des droits de douane de 25 points sur les importations en provenance du Canada et du Mexique, un report d’un mois a finalement été annoncé au 2 avril. Le caractère erratique et imprévisible de ces décisions alimente l’incertitude, limitant les capacités d’anticipation et d’adaptation des entreprises face à l’impact inflationniste des mesures douanières
L’absence d’avancées nettes sur le front des droits de douane ou sur les autres promesses de campagne (fortes baisses d’impôts) érode la confiance, ce qui se concrétise par des arbitrages, avec une préférence pour les valeurs refuges[1] au détriment des marchés actions américains. Dans le même temps, les modèles statistiques de certaines instituions (Fed d’Atlanta, JPMorgan par exemple) semblent révéler que la probabilité d’un scénario de Récession augmente.
Qu’en penser ?
Tout d’abord, une hausse de l’IPE ou d’autres indicateurs avancés, tel que l’inversement de la courbe des taux (cf. le proxy, courbe en jaune sur le Killer Chart) ne sont pas toujours forcément efficaces pour annoncer un repli de l’activité. Le Killer Chart illustre ce constat, avec des périodes de repli de l’activité (en rouge), qui ne sont pas systématiquement précédées par des signaux de retournement ou des signaux pas toujours suivis par une récession[2].
A ce stade, même réduites par certains prévisionnistes, les prévisions de croissance du PIB pour 2025 restent proches de +1,5 %, soit un chiffre honorable. Tout laisse à penser qu’un scénario de Ralentissement semble plus probable qu’une Récession. Cela s’explique en partie pour l’existence de facteurs de Résilience, notamment la croissance des dépenses de consommation, des salaires ou encore un marché de l’emploi solide.
Les créations d’emplois (151 000 en février) attestent toujours d’une bonne tenue du marché du travail. En revanche, la qualité des emplois créés se dégrade[3]. Par ailleurs, le nombre de postes vacants par chômeurs était inférieur à 1 en janvier, une première depuis la fin de la crise sanitaire, soit un signal d’alerte alors que le taux de chômage augmente légèrement (4,1% en février). Un Ralentissement semble inévitable, d’autant plus que les licenciements et les gels de financement dans la fonction publique auront nécessairement un impact sur l’emploi en 2025.
Préserver la confiance sera déterminant pour éviter que ces facteurs de Résilience ne s’estompent trop rapidement. Le meilleur moyen d’y parvenir sera notamment d’éviter de nouvelles tensions inflationnistes (+3 % en janvier). L’inflation reste pourtant la grande inconnue : en principe les effets inflationnistes attendus (droits de douane, politique migratoire) prendraient le dessus sur les effets désinflationnistes (coupes budgétaires, baisse des prix de l’énergie).
La Fed se montre malgré tout très prudente à ce jour. A court terme, cela limite sa capacité à davantage réduire les taux d’intérêt. Le scénario qui prédomine d’une baisse des taux de -75 pdb d’ici fin 2025 selon CME FedWatch pourrait même prendre du plomb dans l’aile si un risque de stagflation se manifeste en cas de poussées inflationnistes. Sans basculer dans un scénario de Récession, la stagflation serait probablement le pire scénario de Ralentissement, car il réduirait nécessairement les marges de manœuvre monétaires et budgétaires.
Sur le plan budgétaire, les baisses d’impôts suscitent des fortes attentes. Une validation concrète de ces mesures dans les Budgets à venir pourrait rassurer les marchés financiers. De quoi assurer une forme de Résilience ? Pas forcément ! Pour l’instant les coupes dans les dépenses seraient plutôt en faveur d’un Ralentissement dès 2025 et ne compenseraient pas les effets du stimulus fiscal promis. Selon les estimations du Comitee for a Responsbile Federal Budget, la baisse des impôts mènerait par ailleurs à une hausse significative de l’endettement public à moyen terme. La situation budgétaire sera source de débats internes fin 2025 pour valider une hausse du plafond de la dette pour éviter un nouveau shutdown, débats qui pourraient renforcer les pressions à la baisse sur le dollar et à la hausse sur les taux longs… Ici également, les incohérences de l’administration Trump ressortent, au vu des déclarations du Secrétaire au Trésor S. Bessent concernant la volonté de disposer d’un dollar fort et de réduire les taux longs.
Résilience, Ralentissement, Récession : s’il ne fallait en retenir qu’un parmi les 3 R, cela serait celui du Ralentissement. Les Etats-Unis disposent de fondamentaux solides pour éviter une Récession. Cependant, les confusions de la nouvelle administration n’offrent que peu de visibilité, et c’est cette incohérence qui tend les marchés actuellement. Les annonces budgétaires à court terme puis monétaires, courant deuxième et troisième trimestres, devront être particulièrement scrutées, pas moins pour évaluer le risque de Récession que pour déterminer le contexte stagflationniste ou non du Ralentissement.
Article rédigé le 11/03/2024
[1] Comme la hausse du cours de l’or (+11,2 % depuis le début de l’année, ytd), l’appréciation du Franc Suisse (+2,8 % face à l’USD ytd), ou encore la hausse des positions spéculatives nettes acheteuses de Yen. Les obligations souveraines américaines ont également enregistré une baisse de leur rendement (-35 points depuis le début de l’année pour les rendements à 10 ans), démontrant un certain intérêt des investisseurs pour cette gamme d’actifs, alors même que les questions budgétaires ne semblent pas résolues.
[2] Le dernier exemple en date avec l’inversion de la courbe des taux aux Etats-Unis entre juillet 2022 et aout 2024 et aucun épisode de récession durant cette période ou en sortie de période.
[3] Proportion plus élevée d’emplois créés pour des emplois à temps partiels, ce qui se manifeste par une réduction d’heures travaillées hebdomadaires moyennes en baisse (34,1) et sous la moyenne de long terme (34,4).