Résumé :
· En 2006, l’arrivée au pouvoir en Equateur du jeune économiste Rafael Correa a marqué un virage dans le paradigme économique du pays, passant d’une politique néolibérale à un fort interventionnisme étatique ;
· Le gouvernement Correa a mené de profondes réformes pour réduire la pauvreté et développer les infrastructures à travers un changement de Constitution, un contrôle financier et une politique expansionniste ;
· Ce pari a tout d’abord réussi : la croissance a été soutenue jusqu’en 2015 et la pauvreté a été très fortement réduite ;
· Toutefois, l’économie du pays reste fortement déséquilibrée et dépendante des exportations de matières premières. La baisse du cours du pétrole en 2014 a plongé le pays dans une crise profonde.
En 2006, au moment des élections générales, l’Equateur traversait une crise démocratique majeure : le pays était alors divisé, miné par les inégalités, et la confiance du peuple envers ses dirigeants était au plus bas. En effet, Lucio Gutiérrez, président depuis 2003, avait été destitué à la fin de l’année 2005 par le Parlement, suite à des manifestations massives dans le pays, consécutives à des accusations de détournement de fond. Les élections de 2006 étaient donc primordiales pour retrouver une stabilité politique. Rafael Correa, candidat au pouvoir au sein d’une alliance de partis de gauche, l’Alianza País, promet alors de mettre fin à la partidocracia, c’est-à-dire l’éloignement du peuple et des élus. Il est élu avec 57 % des voix au second tour.
Le modèle économique du pays était de tendance néolibérale depuis 25 ans, basée sur la forte dérégulation, l’ouverture commerciale et le non interventionnisme monétaire (la monnaie nationale étant le dollar américain depuis 2000). Le pays profite d’un sous-sol extrêmement riche (pétrole, minerais, gaz), et d’un dynamisme de la pêche et de l’agriculture. Cependant, ces secteurs sont dominés par une oligarchie, et les transferts de richesses sont faibles. Les secteurs à forte valeur ajoutée (agroalimentaire, automobile avec la marque Aymesa) ne représentent qu’une faible part de la production (Article BSI de 2014).
R. Correa est resté au pouvoir jusqu’au 2 avril 2017, où il a été remplacé par Lenín Moreno, son ancien vice-président de 2007 à 2013. Les 10 années de la présidence Correa marquent un revirement du modèle économique équatorien, notamment grâce à la « Révolution citoyenne » : dans la lignée des politiques pratiquées au Venezuela et en Bolivie, une politique économique interventionniste de redistribution des richesses a été mise en place. Si le résultat de ces politiques est contrasté dans ces deux pays, notamment au Venezuela, actuellement en pleine crise économique et sociale, quel bilan peut-on tirer des 10 années de pouvoir de Correa ?
1) 10 années de réformes
L’arrivée de R. Correa au poste de Président en 2006 marque une rupture politique et économique. Lors de ses dix années au pouvoir, il a mené une succession de réformes qui ont modifié la structure du pays en profondeur : une nouvelle Constitution, une politique monétaire contrôlé et une politique budgétaire expansionniste.
a) La nouvelle Constitution
En 2008, le pays adopte une nouvelle Constitution (la constitution de Montecristi), acceptée à 64 % par la population lors d’un referendum. Cette Constitution modifie le paradigme économique équatorien, en mettant au centre des décisions, el Buen vivir (le bien vivre) dont l’objectif principal est la réduction de la pauvreté et des inégalités à travers un système social et solidaire en donnant plus de pouvoir à l’Etat sur le plan économique.
D’un point de vue monétaire, la Banque Centrale perd son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif afin de maintenir la stabilité économique. Son rôle principal était auparavant de veiller à la stabilité des prix. Le pays avait perdu une partie de son indépendance suite à l’adoption du dollar comme monnaie nationale en 2000. Désormais, les membres de la Banque Centrale sont nommés par le gouvernement et sont directement en lien avec l’exécutif, qui peut ainsi mener des politiques de gestion des réserves et de la balance des paiements.
D’un point de vue budgétaire, la nouvelle Constitution modifie la gestion de la dette extérieure publique (article 290 de la Constitution). En effet, elle détermine strictement les conditions pour lesquelles l’Etat peut contracter un emprunt, rejetant la possibilité d’emprunter pour payer d’anciennes dettes et des dettes constituées d’une capitalisation des intérêts de retard. Les prêts octroyés hors de ces conditions seront remis en cause auprès des créanciers. Surtout, le gouvernement veut organiser un audit de la dette existante. Dès juillet 2007, Correa crée une Commission d’audit intégral de la dette publique interne et externe (CAIC) afin d’évaluer la part de la dette qui serait frauduleuse ou illégitime. Cette commission distingue ainsi la dette légitime, utilisée dans l’intérêt du peuple équatorien, la dette illégitime, qui aurait servi au renflouement des banques ou issue de contrat de dettes illégaux (contrats avec des irrégularités), et la dette dite « odieuse », contractée lors des régimes dictatoriaux précédents.
Les conclusions de l’audit montrent que de nombreux prêts ont été accordés en violation de règles juridiques. En conséquence, en novembre 2008, l’Equateur annonce qu’elle suspend le remboursement de dettes arrivant à échéance en 2012 et 2030 pour un montant total de 3,2 milliards de dollars, soit un tiers de la dette publique extérieure du pays. Dans le même temps, elle laisse les marchés internationaux sans information et rachète, avec l’aide de la banque Lazard, ses dettes à 35 % de leur prix. En prenant en compte les intérêts, le Trésor Public aurait économisé environ 7 milliards de dollars. Par la suite, malgré une sortie du marché obligataire international, le pays réussit à se financer grâce à des pays « alternatifs » (Iran, Venezuela, Cuba etc.). Le pays ne reviendra sur le marché obligataire qu’en 2014.
b) Le contrôle financier
En plus de ce changement constitutionnel, des réformes financières sont menées, dans l’optique d’appuyer sa politique du Buen vivir. L’objectif est notamment d’accentuer la régulation bancaire.
En mai 2009, il oblige les banques à détenir 45 % de ses actifs liquides dans le pays. Ce ratio passera à 60 % en 2012, et même 80 % en 2015. Cette mesure a également pour but de rapatrier des liquidités dans le pays. Dans cette optique de contrôle du monde financier, il met en place un impôt (aujourd’hui à 5 %) sur les capitaux qui sortent du pays, qui a permis d’augmenter les revenus du gouvernement d’un milliard de dollars entre 2012 et 2015. Ce contrôle croissant du secteur bancaire a permis une forte baisse des taux d’intérêts réels, passés de 8,3 % en avril 2007, à une moyenne de 3,9 % entre août 2008 et septembre 2014 (les taux sont aujourd’hui à 5,4 %).
R. Correa cherche également à modifier le modèle financier du pays : il met l’accent, à travers des politiques incitatives, sur la « finance solidaire », notamment à travers le développement de coopératives de crédits. Ainsi, la part de finance solidaire dans le total des crédits octroyés est passée de 8,3 % en 2008 à 13,6 % en 2016.
c) La politique budgétaire expansionniste
Après avoir réduit la dette du pays artificiellement, R. Correa s’est lancé dans une politique d’investissements publics massifs : les dépenses sont ainsi passées de 27 % du PIB en 2007 à 44 % en 2012 mais sont redescendues à 30 % en 2016. Ces dépenses ont eu pour but de moderniser les infrastructures équatoriennes et de réduire la pauvreté.
Il investit notamment massivement dans les infrastructures routières et hydroélectriques. L’investissement en réparation ou en construction de routes s’est élevé à 8 milliards de dollars entre 2007 et 2015, pour près de 10 000 kilomètres de routes ajoutées ou reconstituées, permettant d’accélérer le commerce intérieur et de désenclaver certaines zones. Les dépenses sociales ont également fortement augmenté : elles passent de 4,3 % du PIB en 2006 à 8,6 % en 2016 (cf. Graphique 1). Elles sont essentiellement axées sur l’éducation (4,3 % du PIB en 2016, contre 2,3 % en 2006) et la santé (2,4 % en 2016 contre 1,1 % en 2006). Le gouvernement a notamment souhaité insisté sur l’enseignement supérieur, en devenant le pays d’Amérique Latine avec le plus haut taux d’investissement dans l’éducation par rapport au PIB, tout en rendant l’accès aux universités gratuites et en fermant les universités privées.
2) Le bilan économique
Ces réformes menées par le gouvernement R. Correa ont modifié en profondeur le modèle économique équatorien durant dix années. Le pays était miné par une pauvreté importante et par une forte dépendance aux exportations de matières premières. Où en est l’Equateur aujourd’hui ?
a) Des progressions fulgurantes…
Le changement de modèle a été rapidement bénéfique sur les premières années. La croissance s’est accélérée sur l’ensemble de la période du mandat : la croissance moyenne a été de 1,5 % par an en dollar constant entre 2006-2016, contre 0,6 % entre 1980 et 2006 (cf. Graphique 2). Surtout, R. Correa avait axé son mandat sur la notion de Buen vivir : une croissance partagée, réduisant la pauvreté, avec l’éducation comme fer de lance. Ainsi, les investissements massifs dans l’éducation ont permis une hausse du taux de scolarisation. En effet, le taux de scolarisation des 12-17 ans est passé de 66 % en 2006 à 81 % en 2014. La progression des infrastructures a également permis des avancées sociales, facilitant notamment l’accès à l’eau, à l’assainissement et l’électrification, notamment en zone rurale.
Ces politiques sociales ont permis une forte baisse de la pauvreté au sein du pays. Le taux de pauvreté est ainsi passé de 37 % en 2007 à 23 % en 2016 (cf. Graphique 2). Les inégalités ont également baissé : l’indice de Gini s’élève à 0,47 en 2016, contre 0,55 en 2007. Le ratio de répartition de revenus entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres est passé de 36 à 25 entre 2006 et 2012 (dernière donnée disponible).
De plus, le pays a relativement bien résisté à la crise de 2008. Si l’Equateur a souffert des fortes chutes du cours du pétrole et des transferts d’argent depuis l’étranger (source de revenuS importante pour le pays, ceux-ci sont passés de 6,7 % du PIB en 2007 à 4,4 % en 2010), le pays a su éviter une catastrophe économique, grâce à une stimulation fiscale à hauteur de 5 % du PIB, pour relancer la croissance et l’investissement. Le pays s’est ainsi vite relevé, avec seulement trois trimestres de récession, et a retrouvé une croissance soutenue jusqu’en 2014.
b) … mais un ensemble fragile
Malgré ces progrès, l’économie équatorienne reste friable, notamment en comparaison de voisins sud-américains comme la Colombie ou le Pérou. Le pays a subit de plein fouet la baisse du cours des matières premières en 2014 et traverse actuellement une profonde crise économique.
Le pays est très sensible aux chocs externes :
· Les exportations, qui représentaient 31 % du PIB en 2011, se sont contractées pour atteindre 21 % du PIB en 2015. En cause, la forte dépendance aux exportations de matières premières (80 % des exportations) et notamment au pétrole, qui représente plus de la moitié de ces exportations. Or, la chute des cours du pétrole, et plus généralement des prix des matières premières, ont fait plonger les exportations. Si le gouvernement a, dans un premier temps, réussi à maintenir à flot l’économie, la chute des recettes budgétaires liées au pétrole (passées de 28 % du total des recettes à 19 % entre 2014 et 2016) a fait exploser le niveau de dette publique (de 29,5 % du PIB en 2013 à 39,5 % en 2016 alors que le niveau maximum autorisé par la Constitution est de 40 %). Autrefois très dépensier, le gouvernement a dû faire face à la menace de la dette. Il décida ainsi de mener une politique restrictive (gel des salaires, hausse des taxes à l’importation, etc.) mais qui entrave la demande domestique.
· De plus, la « dollarisation » de l’économie équatorienne gène la relance monétaire, d’autant plus que l’appréciation du dollar face aux monnaies péruvienne et colombienne a entravé la compétitivité vis-à-vis de ses voisins.
En conséquence, la croissance équatorienne s’est effondrée, passant de 4,5 % en 2013 à -2,2 % en 2016. Le taux de chômage a bondi de 1,3 point entre 2015 et 2016 pour s’établir à 6,1 % de la population active. Le pays est ainsi en pleine crise économique et le manque de marge de manœuvre budgétaire pourrait s’avérer gênant tant que les cours du pétrole n’augmentent pas conséquemment.
Conclusion
Ainsi, malgré une franche réussite de la politique de réduction de la pauvreté et des inégalités, Rafael Correa ne semble pas avoir réussi le défi de la diversification économique de l’Equateur. La dépendance aux revenus du pétrole reste une « plaie » importante. Surtout, il ne faudrait pas que la forte hausse des dépenses publiques n’entrave la capacité de l’Etat à réagir en cas de nouveaux chocs externes, car celui-ci est désormais le cœur de l’appareil économique du pays.
Cette expérience pose ainsi la problématique de la vitesse de réformes structurelles dans un pays relativement déséquilibré économiquement. Malgré tout, les immenses progrès dans l’éducation, la réduction des inégalités et les infrastructures pourraient être une aubaine dans la construction d’une croissance inclusive.
Bibliographie
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« L’Equateur dit « non » », 2011, Damien Millet & Eric Toussaint,Le Monde Diplomatique
« Venezuela, Equateur et Bolivie : la roue de l’histoire en marche », 2009, Eric Toussaint