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Défantasmer les programmes économiques des élections législatives (Policy Brief)

38 % ! C’est le pourcentage de français qui estiment crédible le programme économique du Rassemblement National, selon une enquête de « l’Eurotrack OpinionWay – Vae Solis pour Les Echos – Radio Classique » du 13 juin 2024. Ce chiffre étonne, d’autant plus qu’aucun autre programme n’obtient un score aussi élevé à ce sondage.

Après l’inquiétante pauvreté des débats de la dernière campagne présidentielle, il paraitrait légitime de se réjouir d’assister au retour des thématiques économiques et sociales au cœur des programmes : pouvoir d’achat, retraites, emploi, encore fiscalité, etc.  En revanche, difficile d’être enthousiasmé par la surenchère d’annonces populistes, qui s’inscrivent malheureusement dans une pure logique électoraliste. Si les prises de position se succèdent de tout bord pour juger de la crédibilité ou non de ces programmes, elles demeurent néanmoins parfois empreintes de jugements de valeur ou de visions partisanes… au détriment de leur pertinence et de leur impartialité.

L’ambition de cette tribune n’est pas moins de valider ou d‘invalider ces programmes que d’alerter sur les fantasmes et autres illusions que suscitent les propositions de réformes de part et d’autre de l’échiquier politique. Il s’agit ici d’adresser un appel à la vigilance notamment au regard de nos défis économiques : améliorer le système éducatif, accélérer la transition énergétique, assainir nos finances publiques, améliorer la qualité et l’accès aux services publics, réduire notre déficit commercial, etc.

French flag against blue sky

Si des réformes sont nécessaires en France, leur efficacité est avant tout conditionnée par la véracité des constats qui les motivent. Un remède sera par définition inefficace s’il traite la mauvaise pathologie. Et même en cas de diagnostic juste, réformer via des politiques publiques mal calibrés peut conduire à des effets indésirables, voire opposés à ceux recherchés. Ne pas succomber aux annonces électorales et opportunistes se révèle donc déterminant. Sans être exhaustif, il semblerait que plusieurs propositions des différents programmes correspondent davantage à de fausses bonnes idées et n’apporteraient pas de solution aux problématiques qu’elles prétendent résoudre.

La volonté d’abroger la réforme des retraites en est la parfaite illustration. Au-delà même de son coût pour les finances publiques, avancer l’âge de la retraite ne répond pas, voire est antinomique, aux défis du vieillissement de la population, à la réduction de la part des actifs par rapport à celle des retraités et la chute de la productivité. L’absence de prise en compte de ces composantes structurelles, inhérentes à l’économie française, a de quoi laisser perplexe. Il y a pourtant fort à faire en termes de proposition concrète sur des sujets connexes et non moins importants, comme peuvent l’être la prise en compte de la pénibilité des tâches mais également la refonte des dispositifs pour l’emploi des seniors ou encore la solidarité intragénérationnelle et non pas uniquement intergénérationnelle.

Les propositions relatives à la réduction de la TVA ou au blocage des prix des biens de première nécessité reposent probablement sur la bonne volonté. Ces mesures, testées à maintes reprises, conduisent à des effets d’aubaine indésirables et se révèlent inefficaces sans un ciblage fin sur les populations les plus vulnérables. Ces propositions sont en définitive assez révélatrices d’une incompréhension des mécanismes économiques et privilégient les effets d’annonce plutôt que de proposer des réformes moins séduisantes en apparence mais nettement plus efficaces.

Les marges budgétaires de la France ne sont par ailleurs pas extensibles. Considérer qu’une hausse prononcée des dépenses publiques serait le remède à toutes nos problématiques est un leurre. Augmenter drastiquement les dépenses en y juxtaposant de potentielles recettes au montant incertain devrait très probablement accroitre la dette publique et son coût. Or, dégrader la soutenabilité de cette dette finirait par être contre-productif en entamant la capacité de l’Etat d’assurer pleinement et efficacement ses missions qu’elles soient régaliennes, économiques et sociales ou climatiques.

Pour autant, se cacher derrière des impératifs de discipline budgétaire pour justifier l’absence de mesures concrètes serait une grave erreur. « Crier à la ruine » n’apporte pas plus à la société que de proposer un paquet de réformes populistes mal conçues. Mener des réformes ambitieuses nécessiterait de s’abroger des dogmes et des clivages économico-politiques trop souvent binaires, qui ne rendent pas honneur à notre pays. Il faudra avoir le courage de rompre avec des dispositifs qui n’ont plus lieu d’exister, ou qui auront pu créer des rentes de situation, afin d’envisager une réallocation plus efficace et équitable des ressources publiques.

Pour y parvenir, l’évaluation systématique des politiques publiques et le renforcement de la pédagogie non partisante pour décomplexifier les mécanismes et les enjeux économiques doivent devenir la norme. Faire preuve de pédagogie, de réalisme et d’objectivité du côté des parties prenantes de la vie économique et politique du pays sera tout aussi clé que l’acceptation de la complexité de notre société par le grand public. Deux éléments incontournables pour amorcer une réconciliation d’une société morcelée. Si les moments de la vie politique sont toujours importants, certains ont une dimension supérieure en ce qu’ils peuvent consister des points de bascule. Ces élections portent précisément en elles ce caractère historique. Dans un tel contexte, ne pas succomber à l’illusion sera probablement un gage d’avenir.

 

Cette tribune est signée par Victor Lequillerier et Anthony Morlet-Lavidalie, en tant qu’économistes de BSI Economics et respectivement Vice Président et Secrétaire Général du think tank. Si le ton de la tribune est en total accord avec les valeurs de BSI Economics (indépendance, non partisan, promotion de la pédagogie économique), elle n’a pas vocation à refléter la position de l’ensemble des économistes membres de l’association.

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