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Brésil : quels défis pour le prochain Président ? (Note)

Résumé :

  • Le Brésil souffre d’une croissance peu dynamique et d’une détérioration inquiétante de ses finances publiques, faisant peser des risques sur la soutenabilité de sa dette publique ;
  • Le futur Président devra rapidement s’atteler à la réforme du système des retraites, ce dernier ayant largement contribué à la dégradation du solde budgétaire primaire ;
  • Le Brésil reste l’un des pays les plus inégalitaires au monde. L’amélioration de l’efficacité des politiques de redistribution sera cruciale pour la poursuite du progrès social ;
  • Une plus grande ouverture au commerce international, associée à la protection des travailleurs et des plus fragiles, pourrait accroître la productivité du pays et assurer une croissance inclusive.

Après avoir plongé dans la récession en 2015, le Brésil est toujours en quête de prospérité. A quelques jours d’une élection présidentielle décisive pour l’avenir du pays, cet article revient sur les grands enjeux économiques auxquels sera confronté le prochain président.

 

 

À quelques jours d’un vote décisif pour l’avenir du pays, le Brésil baigne dans l’incertitude. L’ancien Président Lula (2003-2011), candidat du parti travailliste et grand favori du scrutin, a été déclaré inéligible cet été, suite à sa condamnation pour corruption. Depuis, aucun candidat ne parvient réellement à émerger, laissant place à un scrutin très ouvert. Selon les derniers sondages, c’est le candidat d’extrême-droite J. Bolsonaro, qui devrait arriver en tête du premier tour.

Dans un contexte international plutôt défavorable, le prochain Président devra relever des défis cruciaux pour l’avenir du pays : En effet, la baisse des cours des matières premières et les scandales de corruption, touchant à la fois l’entreprise pétrolière contrôlée par l’État, Petrobras, et les géants brésiliens du BTP, ont ébranlé le pays provoquant ainsi le déclin de la première économie d’Amérique latine, qui a connu la pire récession de son histoire en 2015 et 2016. Le Brésil souffre aujourd’hui d’un manque de croissance et d’une dégradation rapide de ses finances publiques, ayant notamment conduit à la dégradation de sa note souveraine.

 

1. Un pays frappé par le marasme économique

1.a) Une économie qui ne parvient pas à rebondir

Après avoir connu sa plus grave récession en 2015-2016 (avec deuxannées de forte récession à près de -3,5 %), le Brésil renoue timidement avec le chemin de la croissance, avec une croissance du PIB de 1 % en 2017, sous l’effet de la consommation privée et de l’investissement. Les prévisions pour 2018 sont néanmoins constamment revues à la baisse, et la croissance ne devrait pas dépasser les 1,5 %. Le Brésil est en effet affecté par le contexte international actuel, avec un moindre appétit des investisseurs pour les pays émergents suite à la hausse des taux d’intérêt américains et également en raison du contexte tendu dans lequel se déroule l’élection présidentielle. La croissance potentielle reste relativement faible et est minée par le faible taux d’investissement, la détérioration du climat des affaires et le manque de productivité. En effet, selon la Banque mondiale, un travailleur moyen au Brésil n’est que 17 % plus productif qu’il y a 20 ans (un chiffre qui atteint 34 % dans les pays développés) tandis que la productivité globale des facteurs a négativement contribué à la croissance entre 2009 et 2015, à hauteur de -1 point de pourcentage.

En outre, les conséquences sociales de la récente contraction économique demeurent inquiétantes. Le chômage est passé de 6,8 % en 2014 à 12,8 % en 2017, tandis que 25 % de la population vit en deçà du seuil de pauvreté (5,5 USD/jour pour l’Institut brésilien de géographie et de statistiques). La création d’emplois tend à se concentrer dans le secteur informel (alors même que l’informalité avait été réduite de 60 à 40 % de l’emploi total entre 2004 et 2014), ce qui vient compromettre la réduction des inégalités de revenus, mais également affaiblir l’assiette fiscale et la croissance de la productivité, problème majeur du pays. La croissance de l’emploi informel affecte de manière disproportionnée les groupes les plus vulnérables de la population, en particulier les femmes, les jeunes et les travailleurs peu scolarisés dans les régions du nord et du nord-est.

Après une année 2017 marquée par un niveau d’inflation historiquement bas, la hausse des prix à la consommation devrait légèrement s’accélérer en 2018 (à 3,5 %), sous l’effet de la dépréciation du real, qui stimule l’inflation importée. Depuis le début de l’année, la devise brésilienne s’est en effet dépréciée de 20 % par rapport à l’USD. Ce retour de l’inflation, malgré une reprise économique plus timide qu’attendue, s’explique également par l’assouplissement monétaire sans précédent au Brésil depuis octobre 2016, qui a dynamisé le crédit et donc la masse monétaire. La Banque centrale brésilienne a abaissé son taux directeur de 775 points de base depuis octobre 2016, pour atteindre le plus bas niveau historique (6,5 % actuellement).

 

1.b) Une rapide dégradation des finances publiques

La hausse des dépenses publiques, conjuguée à la baisse des recettes liée à la période de récession, a fortement dégradé l’état des comptes publics du pays. Après avoir chuté à -10,3 % du PIB en 2015, le déficit public a été réduit à -7,8 % du PIB en 2017. La détérioration des comptes publics reflète une trajectoire insoutenable des dépenses primaires, qui ont augmenté près de trois fois plus rapidement que le PIB au cours de la dernière décennie. Les dépenses sur lesquelles les pouvoirs publics ont davantage de marge de manœuvre, telles que les investissements publics et les transferts d’argent aux plus défavorisés, ne représentent que 20 % des dépenses primaires du gouvernement central, laissant ainsi peu de flexibilité.

Compte tenu de l’ampleur du déficit, la dette publique suit une pente ascendante et devrait atteindre 87 % du PIB en 2018 (soit une hausse de 25 points de pourcentage en seulement 4 ans), faisant émerger des doutes quant à sa soutenabilité à moyen-terme. Si la tendance à la hausse de la dette se poursuit, le récent rebond de l’économie brésilienne pourrait être menacé. En 2016, 16 % du budget du pays était consacré au paiement des intérêts de la dette (2ème poste derrière les prestations sociales, qui sont essentiellement les pensions de retraite). Ainsi, l’importance de la charge de la dette réduit nécessairement la marge de manœuvre des autorités.

Cette dégradation des finances publiques pèse sur la confiance des investisseurs dans la viabilité de la dette publique. Conjuguée aux incertitudes liées à l’élection présidentielle et au contexte international de décrochage des monnaies émergentes par rapport au dollar, cette détérioration a conduit à une forte dépréciation du taux de change. La part de la dette publique libellée en devises reste néanmoins faible, ce qui atténue l’impact des fluctuations des taux de change. Toutefois, cela mène nécessairement à une hausse des taux d’intérêt souverains et à un resserrement des conditions financières. Début 2018, les agences de notation Fitch et Standard & Poor’s ont dégradé la notation souveraine du Brésil, arguant du déficit budgétaire important et durable, de la dette publique élevée et en hausse, ainsi que de l’échec dans la mise en œuvre de réformes qui amélioreraient les performances structurelles des finances publiques.

 

2. Quels défis pour le prochain président ?

2.a) Réformer un système de retraite devenu insoutenable

La réforme des retraites est un sujet épineux au Brésil, sur lequel le futur ex-Président Michel Temer a renoncé, faute de convaincre les Brésiliens de sa nécessité. Ce rétropédalage pousse le Brésil à couper dans les investissements publics, alors même que le pays manque cruellement d’infrastructures.

Pour rééquilibrer les comptes publics et mieux contrôler les dépenses, une réforme du système de retraite semble indispensable. En effet, le système actuel pourrait rapidement devenir insoutenable financièrement. Selon l’OCDE, les dépenses de pensions sont passées de 4,6 % du PIB en 1995 à 12 % du PIB en 2018, ce qui est élevé compte tenu de la jeunesse de population du Brésil. En matière de coût des retraites, le Brésil arrive en cinquième position des pays riches de l’OCDE (organisation dont il ne fait pour l’heure pas partie), alors que la part des plus de 65 ans est l’une des plus faibles. À plus long terme, le vieillissement de la population entraînera des dépenses de retraite de plus en plus élevées si les paramètres actuels du système restent inchangés. Sans aucune réforme, elles pourraient atteindre 17 % du PIB en 2060.

En outre, les dépenses de retraite ont largement contribué à la dégradation du solde budgétaire primaire. Toutes les prestations de retraite sont soumises au salaire minimum, ce qui entraîne des taux de remplacement élevés, en particulier pour les bas salaires.

Le Brésil a aujourd’hui un régime de retraites parmi les plus injustes au monde, qui privilégie de manière disproportionnée les fonctionnaires, qui peuvent prendre leurs retraites à 55 ans tout en bénéficiant d’un salaire presque complet. Réformer ce système serait l’occasion de rendre la croissance plus inclusive grâce à un meilleur ciblage des prestations. L’harmonisation des règles de pension du Brésil avec celles pratiquées dans les pays de l’OCDE impliquerait une pension minimum inférieure au salaire minimum. L’indexation des prestations de retraite sur l’indice des prix à la consommation pour les ménages à faible revenu permettrait de préserver le pouvoir d’achat des retraités tout en améliorant la durabilité du système de retraite. La viabilité du système serait également favorisée par un âge de retraite minimum formel, l’âge effectif de la retraite à 56 ans pour les hommes et à 53 ans pour les femmes étant très inférieur à la moyenne de l’OCDE (65 ans pour les hommes et 64 ans pour les femmes).

 

2.b) Réduire des inégalités persistantes

Une forte croissance et des progrès sociaux remarquables au cours des deux dernières décennies ont fait du Brésil l’une des premières économies mondiales (7ème en termes de poids du PIB en 2017), en dépit des difficultés économiques qui ont suivi. Un marché du travail dynamique, associé à l’amélioration de l’accès à l’éducation, a permis à des millions de Brésiliens d’acquérir de meilleurs emplois et d’améliorer leurs conditions de vie. Ainsi, 25 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté depuis 2003.

Néanmoins, le Brésil reste l’un des pays les plus inégalitaires au monde. La moitié de la population reçoit 10 % du revenu total des ménages, tandis que l’autre moitié en perçoit 90 %. De graves inégalités continuent à désavantager les femmes, les minorités raciales et les jeunes. Les hommes sont payés 50 % de plus que les femmes, un écart de 10 points supérieur à la moyenne de l’OCDE. La pauvreté est plus élevée chez les enfants et le chômage des jeunes est plus de deux fois supérieur à la moyenne globale. Limiter les futures augmentations des prestations sociales qui touchent principalement la classe moyenne pourrait contribuer à accroître les transferts sociaux avec un fort impact sur la réduction des inégalités et un ciblage fort sur les enfants et les jeunes.

Ainsi, l’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques, et en particulier des politiques de redistribution, sera cruciale pour la poursuite du progrès social. Des transferts bien ciblés, associés à de nouvelles améliorations en matière d’éducation et de santé, sont la clé d’une croissance plus inclusive.

Enfin, la généralisation des pratiques de corruption révélée ces dernières années met en évidence l’importance des défis qui existent en matière de gouvernance économique. Ces pratiques ont entravé la redistribution efficace des ressources et ont rendu le processus de prise de décision politique moins transparent. Ainsi, mieux lutter contre la corruption aiderait à réduire les inégalités de revenus et d’opportunités et à stimuler la productivité.

 

2.c) Davantage s’ouvrir au commerce international

Avec des exportations et des importations pesant pour moins d’un quart du PIB, le Brésil est peu intégré dans le commerce international et s’avère être moins ouvert que l’ensemble des pays de l’OCDE. Cela reflète plusieurs décennies de politiques protectionnistes et d’une stratégie réussie d’industrialisation du pays par substitutions aux importations. Une plus grande ouverture au commerce international pourrait accroître la productivité du pays et créer de nouveaux emplois dans l’ensemble de l’économie. Les consommateurs bénéficieraient quant à eux de prix plus compétitifs, avec des effets particulièrement importants pour les ménages à faible revenu.

Une intégration plus poussée dans l’économie mondiale serait un moyen efficace d’accroître la concurrence et aiderait les entreprises et les industries les plus productives à réussir, même si un petit nombre de secteurs verraient leur production diminuer. Des politiques bien conçues, qui protègent les travailleurs grâce à des meilleures formations et une meilleure protection des plus fragiles, permettraient d’assurer une croissance inclusive.

 

Conclusion 

Quelle que soit l’issue de l’élection, le nouveau Président devra sortir l’économie de sa torpeur et générer un choc de confiance. Pour ce faire, ce dernier devra nécessairement s’attaquer au problème chronique du déficit budgétaire et de la dette publique, tout en s’attelant à la réforme des retraites. Faire reculer les inégalités et le fléau de la corruption sera également primordial.

 

Bibliographie :

 

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