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Vieillissement démographique : inflationniste ou déflationniste ? Partie 2/2 (Note)

 

 

Utilité de l’article: Cet article vise à faire la lumière sur l’impact du vieillissement démographique sur l’inflation, ainsi qu’à synthétiser la recherche et les études menées sur le sujet. Il montre par extension que les défis liés au vieillissement devront être relevés dans un monde d’inflation et de croissance faible.

 

Résumé :

  • Le cadre théorique dans lequel s’inscrivent les défenseurs d’un vieillissement démographique inflationniste souffre d’hypothèses peu convaincantes.
  • Malgré des effets potentiellement contradictoires du vieillissement démographique sur l’inflation, les preuves empiriques en faveur de la thèse désinflationniste semblent largement l’emporter.
  • Ces forces désinflationnistes, provoquées par l’augmentation de la part des retraités dans la population, proviendraient avant tout de la baisse de la demande globale et seraient associées à des taux de croissance en déclin, des valorisations boursières plus faibles, et une détérioration de la transmission de la politique monétaire.
  • Les politiques économiques, qui auront à charge de gérer les problématiques liés aux changements démographiques dans les pays industrialisés, devront vraisemblablement être menées dans un cadre d’inflation faible et de performances macroéconomiques dégradées.

 

Les profonds changements démographiques à l’œuvre dans les pays développés vont considérablement modifier la structure productive de ces pays dans un avenir proche. Si un consensus assez large existe autour du fait que l’accroissement relatif du nombre de retraités par rapport aux actifs entrainera une baisse des taux de croissance, la question de l’impact sur l’inflation est bien plus débattue.

Après avoir présenté dans une première partie, les différentes thèses, aussi bien inflationnistes et désinflationnistes, de l’effet du vieillissement démographique sur l’inflation, cette deuxième partie a un double objectif : examiner les multiples éléments théoriques et dresser une critique lorsque des faiblesses sont identifiables, confronter la théorie aux estimations empiriques en synthétisant les récentes mesures qui ont eu lieu sur le sujet.

Si l’inflation sera déterminée à l’avenir par de multiples canaux structurels comme le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, le niveau des inégalités, les déséquilibres entre l’épargne et l’investissement, la mondialisation, la dynamique des salaires, la structure de la démographique de chaque pays jouera probablement un rôle majeur tant le vieillissement modifiera des nombreuses variables macroéconomiques.

 

 1. La thèse inflationniste repose sur des hypothèses peu convaincantes

Si les arguments plaidant pour un vieillissement démographique inflationniste sont séduisants, les hypothèses qui les sous-tendent sont contestables.

Tout d’abord, l’idée que, conformément au cycle de vie les ménages désépargneraient en fin de vie, n’est pas confirmée par l’observation. Malgré des situations différentes selon les pays, en lien notamment avec la pluralité des systèmes de retraite, les taux d’épargne ne fléchissent pas en moyenne en fin de vie. En France, le taux d’épargne à même tendance à croitre de nouveau après 70 ans, à des niveaux égaux ou supérieurs aux ménages actifs.

 

Graphique 2 : Taux d’épargne des ménages français selon l’âge

 Source : Bellamy V., Fesseau M., Raynaud E., « Les inégalités entre ménages dans les comptes nationaux : des écarts plus marqués sur les revenus que sur la consommation », Insee Première n° 1265, novembre 2009.

Cela s’explique par le fait que les ménages, quel que soit leur niveau de richesse, ont un comportement qui devient « dynastique » (motif d’héritage, de transmission aux générations futures) à mesure qu’ils vieillissent, avec une désaccumulation de capital très limitée. Le dépassement de l’hypothèse du cycle de vie trouve ses fondements dans les travaux de Kotlikoff et Summers (1981), qui montrent que les transferts intergénérationnels sont le déterminant principal de l’épargne chez les personnes âgées. Les ménages retraités ne contribueraient donc pas à stimuler la demande mais à l’inverse l’inhiberaient du fait de leur consommation moins importante  que les autres cohortes de la population en moyenne. Ce phénomène est renforcé par des écarts de richesse au sein des retraités nettement « plus marquées entre les retraités qu’entre les actifs » (Girardot-Buffard 2009). La part des retraités les plus aisés alimente d’autant plus la hausse du stock d’épargne. Enfin, la nature de l’épargne des retraités est différente de celle des actifs : les personnes âgées, ayant une espérance de vie plus courte que les personnes en âges de travailler, ont une préférence claire pour l’épargne liquide et disponible à court terme. En France par exemple, la part de l’épargne liquide chez les actifs s’établit autour de 40 % tandis que cette proportion dépasser les 50 % chez les retraités (Girardot-Buffard 2009). Cette déformation de la structure de l’épargne avec l’âge vers des placements plus sûrs à moindre rendement pénaliserait le potentiel de croissance et engendrerait des perspectives d’inflation anticipée plus faibles.

De la même manière, l’idée que les pénuries de main d’œuvre, liées la baisse relative de la population en âge de travailler dans la population totale, faciliteraient l’acceptation des revendications salariales ne tient pas compte des autres déterminants institutionnels dans les négociations salariales. En particulier du déclin séculaire du taux syndicalisation des salariés dans la plupart des pays développés depuis la fin des années 50.

Tableau 1 : Taux de syndicalisation des salariés dans les pays développés en 1999, 2006 et 2018

Source : OCDE, rapport Negotiating Our Way Up « Collective Bargaining in a Changing World of Work »,

calculs BSI Economics

 

Ne pas tenir compte de l’évolution du taux syndicalisation des salariés peut conduire à surestimer la capacité des travailleurs à obtenir des augmentations de salaires. En effet, la relation entre le taux de syndicalisation et la croissance des salaires s’obverse à la fois au sein des pays et en comparaisons internationales. Sans évolution majeure des niveaux de syndicalisation, il est peu probable qu’une inflation salariale prenne forme malgré des pénuries de manœuvre croissante.

 

Graphique 3 : Relation entre le taux de syndicalisation et la croissance des salaires

Source : OCDE, rapport Negotiating Our Way Up « Collective Bargaining in a Changing World of Work »,

calculs BSI Economics

 

Ces deux exemples montrent à quel point les hypothèses qui sous-tendent les arguments des défenseurs d’un vieillissement inflationniste sont fragiles et ne s’observent pas sur les données contemporaines.

 

2. Les études empiriques tendent à valider l’effet déflationniste du vieillissement démographique

La fameuse « reflation » prédit par Juselius et Takats (2015, 2018) à partir de 2010, qu’ils considèrent comme le tournant (« turning point ») dans les pays de l’OCDE, ne semble pas en prendre le chemin. Au contrainte, le rythme annuel de l’inflation a perdu 1,1 point de pourcentage en moyenne sur la dernière décennie (passant de 3  % en moyenne par an sur la période 2000-2008, à seulement 1,9  % sur la période 2010-2019).

De nombreuses études empiriques se sont attachées à isoler la causalité entre le vieillissement démographique et l’inflation, en contrôlant des autres facteurs qui influencent le niveau des prix. Bien que la plupart reconnaissent l’ambiguïté des effets théoriques du vieillissement sur les prix, ils concluent majoritairement à un effet déflationniste.

Quel que soit les modèles d’estimation [(Yoon et al. 2014, Gajewski, 2015)[1], par des modèles autorégressifs (Bobeica et al. 2017, Aksoy et al. 2019)[2], ou des modèles comportant un bouclage macroéconomique (Anderson et al. 2014)[3], la majorité des études empiriques rapportent que le vieillissement démographique est associé à des pressions déflationnistes dont le principal canal serait la baisse la demande globale qui l’emporterait aisément sur les pressions inflationnistes émanant de la réduction de la quantité disponible main-d’œuvre.

Ainsi, la relation qui lie le taux de dépendance des personnes âgées à l’inflation semble être très forte et se vérifie à la fois entre les pays des pays développés (Graphique 4), qu’au sein d’un même pays sur longue période (notamment pour les pays dont le vieillissement est déjà à un stade avancé comme le Japon ou l’Italie qui sont les deux pays ayant le taux de dépendance des personnes âgées les plus élevés au monde ; graphique 5 et 6)

 

Graphique 4 : Relation entre le taux de dépendance et l’inflation

Source : OCDE, calculs BSI Economics

 

 Graphique 5 et 6 : Relation entre le taux de dépendance et l’inflation en Italie et au Japon

 

Source : OCDE, calculs BSI Economics

 

Conclusion et implications politiques

Après avoir présenté dans un premier article les thèses antagonistes de l’impact du vieillissement démographique sur l’inflation, cette deuxième partie dresse une critique théorique et empirique d’un vieillissement qui serait inflationniste. L’article s’attache en particulier à mettre en évidence le manque de vérifiabilité des hypothèses inflationnistes comme celles faites sur la chute du taux d’épargne des séniors ou sur la montée des revendications salariales des actifs qui sont contredites par l’observation.

Les forces désinflationnistes générées par le déclin de la population active découleraient de plusieurs canaux, dont le principal viendrait de la baisse de la demande globale, et seraient associées à des taux de croissance en baisse, des valorisations boursières plus faibles, et une détérioration de la transmission de la politique monétaire.

Ces résultats sont finalement en ligne l’idée que le vieillissement démographique ferait baisser le taux d’intérêt naturel et le potentiel de croissance, faisant de la politique monétaire un levier de moins en moins efficace pour redresser l’inflation vers sa cible. Seules des politiques budgétaires proactives peuvent éviter aux banques centrales d’être bloquées dans leur action en butant sur les taux planchers.

Le vieillissement des populations sera un enjeu majeur pour les politiques économiques car elles devront parvenir à pérenniser les systèmes publics de retraite et le financement des soins de santé dans des pays où le nombre d’actifs sera inférieur au nombre de retraités, et où les performances macroéconomiques seront moindres.

 

 

Bibliographie :

Aksoy, Yunus, Henrique S. Basso, Ron P. Smith, and Tobias Grasl. 2019. « Demographic Structure and Macroeconomic Trends. » American Economic Journal: Macroeconomics, 11 : 193-222.

Anderson, D, D Botman and B Hunt (2014) ”Is Japan’s Population Aging Deflationary?” IMF Working Paper 14/139, August

Bellamy V., Fesseau M., Raynaud E., « Les inégalités entre ménages dans les comptes nationaux : des écarts plus marqués sur les revenus que sur la consommation », Insee Première n° 1265, novembre  2009.

Bobeica, E., Lis, E., Nickel, C., and Sun, Y. (2017) “Demographics and inflation” ECB Working Paper Series 2006, European Central Bank.

Broniatowska, P. (2017). Population ageing and inflation. Journal of Population Ageing, forthcoming.

Gajewski, P. (2015) “Is ageing deflationary? some evidence from oecd countries” Applied Economics Letters, 22 : 916–919

Girardot-Buffard, P. (2009) “Le patrimoine des ménages retraités”, Insee, les revenus et le patrimoine des ménages (Édition 2009)

Juselius, M and E Takáts (2015) “Can demography affect inflation and monetary policy?”, BIS Working Paper 485, February

Juselius, M and E Takáts (2018), “The Enduring Link between Demography and Inflation”, document de travail n° 722 de la BRI.

Kotlikoff L. and L. Summers (1981), « The Role of Intergenerational Transfers in Aggregate Capital Accumulation », Journal of Political Economy, 89, 4, pp. 706-732

Yoon, J-W, J Kim and J Lee (2014) “Impact of Demographic Changes on Inflation and the Macroeconomy” IMF Working Paper 14/210 November



[1] Régression en panel estimé incluant des effets fixes et robustes à l’hétéroscédasticité inter-pays ainsi qu’à l’autocorrélation des séries.

[2] Modèle autorégressif (VAR) vérifiant la cointégration des séries (relation positive à long terme entre l’inflation et le taux de croissance de la population en âge de travailler en proportion de la population totale dans l’ensemble des pays étudiés)

[3]Modèles GIMF du FMI comportant un bouclage macroéconomique. C’est un modèle DSGE à plusieurs pays auquel les auteurs intègrent des variables liées aux changements démographiques.

 

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