Résumé :
· A partir de 2010, la production de pétrole de schiste s’est intensifiée, notamment grâce à des afflux massifs de capitaux dans ce secteur, alors considéré comme la solution à l’indépendance énergétique tant convoitée par les Etats-Unis.
· Mais entre le pic atteint par les prix du pétrole en juin 2014 et le creux atteint en janvier 2016, la rentabilité du pétrole de schiste a été sérieusement remise en cause.
· Des craintes quant à la rentabilité des entreprises du secteur ont commencé à émaner de leurs créanciers, puis ont gagné les marchés financiers. Les faillites ont alors débuté dès 2015.
· Les entreprises qui survivent à la correction actuelle des prix dans le secteur du schiste sont celles considérées comme les plus solides financièrement.
· Avec la remontée récente des prix du pétrole, la purge résultant de l’éclatement de cette bulle aurait a priori un caractère salvateur.
Le développement rapide de l’industrie du schiste aux Etats-Unis a conduit de nombreux acteurs à investir dans ce secteur plein de promesses. Soutenue par un contexte économique propice – forte demande en hydrocarbures et prix élevés – la production s’est particulièrement intensifiée ces dernières années. Par ailleurs, ce phénomène fut (irrationnellement) soutenu par l’excès de liquidité mondiale émanant de politiques monétaires ultra accommodantes et donc une recherche exacerbée de rendement par les investisseurs. Ces deux effets combinés ont permis aux entreprises de s’endetter massivement, et ce notamment dans l’optique de financer de nouveaux forages.
La chute récente des prix du pétrole a suscité une vague d’inquiétude chez les créanciers ainsi que sur les marchés financiers quant à la rentabilité des acteurs de cette jeune industrie. En conséquence, le montant des prêts octroyés à ces entreprises a été réduit, poussant ces dernières à assainir leur bilan. Néanmoins, une vague de défaut est bel et bien déjà enclenchée et les banques augmentent leurs provisions allouées aux prêts non performants. Si bien que certains observateurs font désormais l’analogie entre l’éclatement de la bulle sur le secteur du schiste et celle des surprimes. Dans un contexte de purge, nous analysons quelles sont les perspectives pour le secteur du schiste aux Etats-Unis.
Le secteur du schiste aux Etats-Unis, quelques rappels pédagogiques
1) Les caractéristiques de l’exploitation du schiste
Le secteur du schiste aux Etats-Unis se dissocie en deux grands types de production : le gaz de schiste[1] et le pétrole de schiste[2]. L’exploitation à grande échelle de gaz et de pétrole de schiste commence au milieu des années 2000 dans un contexte de stagnation de l’offre et de forte croissance de la demande d’hydrocarbures – notamment en provenance de Chine – et donc de prix relativement élevés. Les techniques d’extraction sont communes au gaz et au pétrole, c.-à-d., la fracturation hydraulique.
Après une phase d’exploration géologique et d’estimation du volume d’hydrocarbure contenu dans la roche-mère, un puit vertical est foré jusqu’à 3 kilomètres de profondeur puis le forage se poursuit à l’horizontale et peut lui aussi atteindre jusqu’à 3 kilomètres de long. Les instruments de forage sont ensuite démontés et des tubes en acier sont installés afin de pouvoir faire remonter le gaz et / ou le pétrole à la surface en recourant à des différentiels de pression. Cette technique se révèle donc particulièrement coûteuse étant donné sa sophistication et le volume de production reste relativement faible par rapport aux productions conventionnelles. De plus, les volumes de production sont très hétérogènes d’un champ à l’autre.
En ce qui concerne le pétrole de schiste, (cf. rapport sur les ressources mondiales de gaz et pétrole de schiste) l’Agence internationale de l’énergie (AIE ou IEA en anglais) estimait en2013 que les Etats-Unis disposeraient de 48 à 58 milliards de barils de pétrole de schiste, dont 15 dans la formation de Monterey Santos en Californie, 4 dans la formation de Bakken dans le Dakota du Nord et 3 dans la formation d’Eagle Ford au Texas.[3]
2) Consommation et production globale du schiste
Pour autant, les volumes sont petits par rapport aux estimations des ressources mondiales de pétrole conventionnel onshore et offshore. Toutes sortes de pétrole confondues, selon l’EIA, la consommation de pétrole continuerait à augmenter, de 90 millions de barils par jour (Mbbl/j) en 2013 à 104 Mbbl/j en 2040. Ceci malgré le ralentissement progressif de cette croissance, principalement à cause de la Chine, qui devrait tout de même dépasser les États-Unis au rang de premier consommateur mondial vers 2030. Malheureusement, le pétrole de schiste ne saura satisfaire ces besoins car son extraction nécessite le forage de nombreux puits, dont le rendement décline très rapidement.
Du côté de la production, les États-Unis sont, de loin, le premier producteur de pétrole de schiste avec près de 4 millions de barils par jour selon BP. Ils deviendraient le premier producteur mondial d’hydrocarbures (pétrole et gaz naturel liquéfié) entre 2020 et 2025 avec 12,5 Mbbl/j (dont plus de la moitié en pétrole de schiste, toujours selon BP), devant la Russie (11 Mbbl/j) et l’Arabie saoudite (10,8 Mbbl/j). Enfin, à un horizon plus lointain, les sables bitumineux riches en kérogène du Canada, du Brésil, du Mexique et du Kazakhstan pourraient prendre le relais des États-Unis. Mais les pays de l’OPEP, en particulier ceux du Moyen-Orient, devraient maintenir une part de marché significative à l’échelle mondiale car leurs ressources restent énormes.
Le secteur du schiste aux Etats-Unis, la ruée vers l’or… noir
Depuis 10 ans, les Etats-Unis ont commencé à extraire et à commercialiser du pétrole de schiste à grande échelle, principalement dans les Etats pionniers du Dakota du Nord et du Montana. La crise des subprimes intervient dès 2007 et l’avenir prometteur du secteur du schiste est alors remis en cause car la faiblesse des prix du pétrole a grandement remis en cause la rentabilité du secteur. Ce n’est qu’à partir de 2010 que la production s’intensifie, notamment grâce à des afflux massifs de capitaux dans ce secteur alors considéré comme la solution à l’indépendance énergétique tant convoitée par les Etats-Unis – premier consommateur mondial de pétrole avec plus de 19 millions de barils par jour en 2014 selon l’US Energy Information Administration (EIA). C’est dans un contexte d’excès de liquidité mondiale – notamment alimentée par les politiques monétaires ultra accommodantes et non conventionnelles des Banques centrales des pays développés, Réserve Fédérale en tête – et donc de recherche de rendement accrue de la part des investisseurs américains que le secteur du schiste s’est rapidement développé.
Mais entre le pic atteint par les prix du pétrole[4] en juin 2014 (115,5 USD par baril) et le creux atteint en janvier 2016 (27,8 USD par baril), la rentabilité du pétrole de schiste a été sérieusement remise en cause. Durant cette période de baisse drastique des prix du pétrole (plus de 75 %), une majorité des acteurs alors présents sur le secteur du schiste ont vu leurs conditions de financement se détériorer très rapidement et des faillites en cascade ont fait leur apparition. Les défauts de paiement s’étant multipliés, la question du caractère systémique a très vite occupé le devant de la scène car entre la titrisation d’obligations d’entreprises – dont nombre d’entre elles sont cotées sur les marchés High Yield – et l’exposition accrue de certains acteurs du secteur bancaire américain, les craintes d’un nouveau cataclysme rappelant celui engendré par la crise des subprimes a refait surface.
Depuis janvier 2016, la situation s’est améliorée au seul regard des prix du pétrole. Comme l’avance Olivier Rech, analyste énergie chez Beyond Ratings, l’excès d’offre a diminué notamment du fait de facteurs conjoncturels (immenses incendies à Fort McMurray au Canada et grève dans la Compagnie pétrolière nationale au Nigéria).
Prix du pétrole (USD par baril) et du gaz naturel (USD par MMBtu)
Source : BSI Economics
En effet, le prix du pétrole a augmenté de près de 80 % et s’approche désormais du seuil psychologique des 50 USD par baril, annoncé comme étant le « nombre magique » qui pourrait sauver l’industrie pétrolière (cf. Bloomberg). Ce seuil représente aussi, selon les sources, un point mort minimum pour de nombreux acteurs du secteur du pétrole de schiste. En effet, au-delà de ce point mort, ces acteurs redeviendraient rentables. De plus, la courbe d’apprentissage observée dans ce type d’industrie laisse à penser que les coûts d’extraction du pétrole de schiste devraient continuer à diminuer dans les années à venir. La question est donc de savoir si la purge actuellement à l’œuvre sera salvatrice pour cette industrie ? Nous apportons quelques éléments de réponse à travers cet article.
La bulle sur le secteur du schiste aux Etats-Unis est-elle en train de se dégonfler ou d’éclater ?
1) Retournement de situation dans le secteur du schiste
La baisse rapide du prix des pétroles depuis 2014 a commencé à soulever la question de la rentabilité des entreprises de ce secteur. Ces craintes ont tout d’abord émané de leurs créanciers, avant de gagner les marchés. Et pour cause, les montants de prêts accordés aux firmes pétrolières et gazières ont presque triplé ces dernières années, passant de 1 100 milliards USD à 3 000 milliards USD entre 2006 et 2014 selon la Banque des Règlements Internationaux, soit une hausse annuelle de près de 13 %. Cet endettement massif leur a notamment permis d’entreprendre des investissements colossaux.
Taux de rendement total de l’indice Merrill Lynch US High Yield vs. sous-indice Energie
(100 = 31 Aout 1986)
Sources : Federal Reserve Bank of St. Louis, BSI Economics
Comme le souligne un récent rapport de la Fed, un poste de dépense important pour ces entreprises a été consacré à l’amélioration de l’appareil productif, qualitativement (via la productivité) et quantitativement (via les forages). Or, le retour sur investissement a été rapidement remis en question avec la rapide baisse des prix du baril. La renégociation des montants de prêts accordés par les créanciers aux acteurs du secteur se fait généralement deux fois par an. Selon Reuters, les derniers tours de tables ont conduit à une réduction de près d’un tiers des montants accordés par les investisseurs. Combiné à une conjoncture dégradée, ce mauvais signal s’est propagé rapidement aux marchés. Alors que l’indice S&P 500 Energy a atteint son plus bas niveau depuis 5 ans en janvier 2016, les spreads obligataires se sont rapidement élargis et les CDS du secteur se sont envolés, comme l’illustre le S&P/ISDA CDS US Energy Select 10 Index.
Coût moyen d’achat d’un CDS à 5 ans sur la base d’un panier d’entreprises représentatives
Sources : S&P Dow Jones Indices LLC, BSI Economics
2) Défauts et risque de contagion
En conséquence de ce climat tendu, la tendance dans l’industrie du schiste est bien aux coupes budgétaires : réduction de l’emploi, ventes des actifs, diminution des dépenses en capital, réduction des forages, etc. En effet, la priorité a été donnée à la préservation des cash flows. Malgré ces efforts, des entreprises ont vu leur notation dégradée et sont venus gonfler la part des titres de l’univers High Yield américain : leur proportion a doublé depuis 2008, et représentent désormais plus de 15 %. D’autres entreprises, des géants du secteur comme Energy XXI, PeabodyEnergy, ou encore Samson Resources Corp sont en faillites. Et il ne s’agit pas de cas isolé. Comme l’indiquait Bloombergen mars dernier, 48 entreprises Nord-Américaines du secteur pétrolier et gazier ont fait défaut depuis le début de l’année 2015, représentant une dette totale de 17,3 Mds USD. De plus, cette tendance se poursuit et les derniers dépôts de bilans en date ont été ceux de Sanridge et BreitburnEnergy. Néanmoins, les entreprises qui survivent à la correction actuelle sont celles considérées comme les plus solides financièrement, celles qui ont réussi à rentabiliser leurs investissements massifs.
Les défauts s’accumulent. La question est maintenant de juger de la pérennité de ce phénomène ainsi que de ses conséquences. Si l’augmentation des faillites des entreprises du pétrole de schisteest déjà un mauvais signal per se, certains fonds ou banques massivement investis dans ce secteur (comme Third Avenue aux Etats-Unis ou encore Bank of Nova Scotia dans le cas du Canada) sont eux aussi en difficulté.
En effet, la valorisation des actifs en portefeuilles se détériore rapidement et entraine des retraits massifs de la part des investisseurs. Si bien que les grandes banques augmentent leurs provisions allouées à ce secteur afin de se prémunir contre une hausse des défauts. Dans un récent rapport, Goldman Sachs avance que ces dernières ont augmenté de 4 % en moyenne. Les plus petites structures, telles que les banques régionales des Etats producteurs de pétrole par exemple, seraient potentiellement plus fragilisées de par leur exposition accrue. Par ailleurs, la grande inconnue à l’équation reste le volume de titrisation de ces créances. Certains observateurs, gérants de portefeuille et analystes de marché, avancent que les montants de prêts accordés aux entreprises du secteur du schiste seraient 25 % plus élevés que ceux des subprimes. Par ailleurs, Fitchprévoit un taux de défaut de 30 à 35 % dans le secteur « exploration et production » High Yield rien que pour l’année 2016.
Conclusion
Après être tombés sous le seuil psychologique des 30 USD par baril début 2016, les prix du pétrole repartent à la hausse vers un autre seuil psychologique : 50 USD par baril. Il convient alors de repenser les défauts en cascades dans le secteur du schiste aux Etats-Unis comme une purge des acteurs. Ainsi, cet assainissement du marché n’est que le contrecoup porté à une industrie qui a été artificiellement soutenue par le climat économique et financier singulier de ces dernières années – excès de liquidité mondiale résultant des politiques monétaires ultra accommodantes.
En définitive, les tourments actuels auxquels sont confrontés les producteurs devraient permettre une relative stabilisation du marché du schiste en Amérique du Nord. La purge résultant de l’éclatement de cette bulle a donc bien un caractère salvateur. Avec une hypothèse haussière sur les prix du pétrole, le secteur du schiste a, de nouveau, de beaux jours devant lui. Dans le cas contraire, il ne serait pas étonnant de voir d’autres faillites se succéder…
[1]Il s’agit de combustibles fossiles contenus dans des formations géologiques poreuses et de faible perméabilité, souvent du schiste ou du grès. Les géologues parlent plus généralement de « roche-mère » plutôt que de schiste.
[2]Dans le cas du pétrole de schiste, il s’agit d’un pétrole plus léger que le pétrole conventionnel et il est donc plus facile à raffiner.
[3]En termes de comparaison, la Russie disposerait de 75 milliards de barils de pétrole de schiste dans ses sous-sols, tandis que la Chine disposerait de 32 milliards de barils de pétrole de schiste, selon l’EIA.
[4]Nous parlons ici du pétrole Brent qui est le type de pétrole le plus échangé à travers le monde.