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Politique macroprudentielle : des réformes en perspective (Note)

 

Résumé

  • Les réformes attendues portent sur les instruments, le design institutionnel, et sur le champ d’application du dispositif macroprudentiel ;
  • Concernant les instruments, les avis reçus par la Commission Européenne sont favorables à la simplification des procédures d’activation, à la révision de la calibration des coussins de fonds propres pour les établissements systémiques, et à la mise en place d’outils complémentaires ;
  • La gouvernance du conseil européen du risque systémique, ainsi que la répartition des tâches entre les autorités macroprudentielles devraient être modifiées ;
  • A plus long terme, étant donné l’importance du secteur financier non-bancaire, et le contexte favorable à son expansion, le dispositif macroprudentiel sera probablement étendu à l’ensemble du secteur financier.

 

 

Le cadre régissant la politique macroprudentielleest récent. Néanmoins, ces quelques années d’expérience ont donné lieu à un premier bilan. En 2016, la Commission Européenne a publié une consultationen vue de réformer la politique macroprudentielle. Dans le document support, la Commission fait état des pratiques, pour mettre en avant les limites du dispositif, et recueillir les suggestions du public. Quelles sont les faiblesses du dispositif ? Quelles alternatives ont été proposées ? Les propositions vont dans trois directions.

 

1. Atteindre un meilleur équilibre entre flexibilité et contrôle

Les autorités macroprudentielles ont pour objectif de contenir le risque systémique. A ce titre, les instruments à leur disposition sont conçus de manière à atteindre un équilibre entre flexibilité et contrôle. Les autorités nationales doivent pouvoir prendre des mesures adaptées aux conditions financières et à la structure du système financier de leur pays (flexibilité). Par ailleurs, ces mesures doivent être transparentes, harmonisées, et validées par les institutions européennes, de manière à favoriser la coordination des politiques mises en œuvres dans les différents pays membres de l’UE (contrôle). Cette coordination est nécessaire pour éviter les effets d’arbitrage réglementaire, de concurrence déloyale, ou de prise de risque excessive par le biais des activités transfrontalières. C’est donc à partir de l’équilibre entre ces deux critères que les propositions de réforme des instruments macroprudentielsont été faites.

 

1.1 Simplifier les procédures d’activation des instruments

La régulation européenne (CRR/CRD IV) établit une hiérarchie des instruments prudentiels. L’activation d’un nouvel instrument est possible seulement si ceux qui lui sont prioritaires sont déjà activés. Par ailleurs, le nombre d’institutions européennes à notifier pour que la mesure soit validée, et le format des notifications varient beaucoup d’un instrument à l’autre.

En pratique, ces différences peuvent favoriser l’usage macroprudentiel d’outils microprudentiels [1] prioritaires, plus flexibles, mais également moins transparents, et dont la mise en œuvre n’est pas contrôlée à l’échelle européenne. Elles peuvent également affecter la réactivité des autorités nationales, les amener à choisir des instruments moins adaptés, ou bien les inciter à ne pas agir. Une partie importante des réponses reçues par la Commission, dont celle de l’ESRB(« European Systemic Risk Board », institution supranationale responsable de la politique macroprudentielle à l’échelle de l’UE), est favorable à la suppression de la hiérarchie des instruments, et à la mise en place d’une procédure d’activation unique.

 

1.2 Revoir les règles relatives aux ratios de fonds propres pour les établissements systémiques

Comme l’indique le graphique 1, la régulation européenne prévoit entre autres trois coussins de fonds propres pour lutter contre les risques émanant des établissements systémiques : les ratios G-SII et O-SII [2], et le SRB (« systemic risk buffer »). Les ratios G-SII et O-SIIvisent en particulier les établissements dits « too-big-to-fail », c’est-à-dire les piliers du secteur bancaire international (G-SII) et/ou national et européen (O-SII). Ils sont limités respectivement à 3,5% et 2% du montant total d’exposition au risque de ces institutions. L’objectif du SRB est flou, son champ d’application très large, et il n’admet pas de plafond, ce qui rend cet instrument très flexible. Contrairement aux ratios G-SII et O-SII, le SRB ne vise pas spécifiquement les établissements systémiques, mais peut y être appliqué.

En pratique, le SRB a été utilisé pour contourner le plafond du ratio O-SII, jugé trop bas pour couvrir les risques émanant des établissements concernés. Par ailleurs, un rabais de plafond s’applique aux filiales étrangères O-SII d’établissements O-SII ou G-SII, ce qui peut fausser la concurrence si les établissements identiques du pays hôte font face à des exigences plus strictes. Les principales alternatives proposées consistent donc à définir clairement l’objectif du SRB, à rehausser le plafond du ratio O-SII, et à supprimer le rabais de plafond appliqué à ces filiales.

 

Graphique 1 : Exigences de fonds propres dans le CRR/CRD IV

 
   

 

1.3 Ajouter des instruments complémentaires

Les instruments disponibles ne permettent pas de lutter contre les fluctuations excessives observées sur un marché d’actifs spécifique, hormis le marché immobilier [3]. La proposition d’établir un coussin de fonds propres contracyclique sectoriel [4] a reçu des avis favorables. Il a également été suggéré de cibler trois cycles : l’immobilier, le crédit et le prix des actifs.

La majorité des outils macroprudentiels sont des ratios de fonds propres. A travers ce type d’instruments, les autorités cherchent à rééquilibrer la structure financière des banques pour :

i.                    Augmenter leur capacité à absorber les pertes ;

ii.                  Réduire leur incitation à prendre des risques ;

iii.                Contenir la croissance du crédit en le rendant plus coûteux [5].

En pratique, plusieurs pays ont également utilisé des mesures visant directement les emprunteurs (comme par exemple les ratios « loan-to-value », « loan-to-income », « debt-service-to-income »), pour éviter des situations de surendettement et améliorer ainsi la qualité des crédits. Etant donné leur efficacité, il faut s’attendre à ce que ce type de mesures soit mis à la disposition des autorités macroprudentielles nationales de tous les états membres, et que leur mise en oeuvre soit harmonisée au niveau européen.

Les ratios de fonds propres sont définis en proportion du montant total d’exposition au risque des établissements bancaires. L’exposition au risque est fonction de paramètres (probabilité de défaut, taux de perte en cas de défaut, exposition au moment du défaut, maturité) qui peuvent être calculés par les banques elles-mêmes, à partir de leurs propres modèles (« internal-rating-based (IRB) approach »). Ces modèles sont limités puisqu’ils ne tiennent compte que des risques connus et quantifiables. Il y a également un problème d’asymétrie d’information entre les banques et les autorités de surveillance, ce qui peut inciter les banques à sous-estimer les risques qu’elles encourent [6]. Plus largement, les indicateurs de risque sont en général plus élevés en période de ralentissement et plus faibles en période de boom, ce qui se répercute mécaniquement sur les exigences de fonds propres, et peut avoir un effet procyclique sur les fluctuations du cycle du crédit. La mise en place de ratios de levier macroprudentiels, qui ne dépendraient pas des modèles bancaires, est largement soutenue par l’ESRB.

 

2. Réformer le cadre institutionnel du dispositif macroprudentiel

 

2.1 Renforcer l’indépendance de l’ESRB et la représentation des différentes parties prenantes

La majorité des avis recueillis par la Commission est favorable à ce que la présidence de la BCE aille depair avec celle de l’ESRB. Par ailleurs, la mise en place d’une structure dualiste pour renforcer l’indépendance de l’ESRB semble faire consensus. Ce choix de gouvernance inclurait un président et un directeur général. Le premier continuerait à présider les réunions du conseil général, et le second présiderait les réunions du comité directeur.

Graphique 2: Organigramme du CERS

Commission Européenne, consultation (2016)

Les principales responsabilités concernant la mise en œuvre de la politique macroprudentielle dans l’UE sont confiées aux autorités macroprudentielles nationales. Par ailleurs, l’efficacité du dispositif dépend de la coordination de l’ensemble des autorités de régulation prudentielle, y compris les autorités de régulation microprudentielle de l’union bancaire comme l’autorité de résolution  et le conseil de supervision. Il faut donc s’attendre à ce que  la composition des organes de l’ESRB soit modifiée pour inclure les représentants de ces institutions (autorités macroprudentielles nationales, autorité de résolution et conseil de supervision de l’union bancaire).

 

2.2 Clarifier la répartition des pouvoirs entre les différentes autorités macroprudentielles

La politique macroprudentielle comprend deux dimensions. Une dimension temporelle, qui vise à lisser les fluctuations du cycle financier via une action contracyclique. Une dimension transversale qui vise à limiter la concentration des risques dans l’UE, via une action ciblant les groupes systémiques par exemple (c’est le cas des ratios G-SII et O-SII). Dans une étude publiée par le Parlement Européen, il a été proposé de clarifier la répartition des pouvoirs. Etant donné l’hétérogénéité des cycles financiers des pays de l’UE, la responsabilité des politiques contracycliques serait laissée aux autorités macroprudentielles nationales. L’ESRB serait alors chargé de les coordonner à l’échelle de l’UE. En revanche, la responsabilité de la dimension transversale serait directement confiée à une institution supranationale comme la BCE, pour mieux couvrir l’intégralité des risques émanant des grands groupes ayant des activités transnationales. Cette répartition permettrait notamment d’éviter la duplication des tâches, et de simplifier les procédures d’activation des instruments, qui compromettent l’efficacité du dispositif.

 

3. Etendre le dispositif macroprudentiel au-delà du secteur bancaire

La question de l’extension du dispositif macroprudentiel aux intermédiaires financiers non bancaires (compagnies d’assurance, fonds de pension, et « shadow banking » incluant les fonds d’investissements et les autres intermédiaires financiers) se pose car ils constituent aujourd’hui, au même titre que les banques, une source de financement majeure pour l’économie(à la fin du quatrième trimestre 2016, le shadow banking et les compagnies d’assurance et fonds de pension détenaient respectivement 40% et 16,5% du total des actifs du secteur financier de l’UE). On s’attend d’ailleurs à ce que leur expansion continue et s’accélère avec l’entrée en vigueur de l’union des marchés de capitaux, qui vise en partie à « développer et diversifier l’offre de financement », et le contexte actuel caractérisé par un niveau faible des taux d’intérêt. Le niveau faible des taux d’intérêt tend à stimuler la prise de risque et l’expansion des bilans. Il favorise les intermédiaires financiers dont l’expansion du bilan n’est pas soumise à des contraintes réglementaires (c’est le cas des hedge funds et de certains fonds d’investissement), et peut accroître la concurrence entre les banques et les non-banques, qui développent des activités similaires aux services bancaires [7].

En outre, comme l’indique le graphique 3, les intermédiaires financiers non-bancaires sont étroitement liés aux banques. Ils incluent des établissements créés spécialement par les banques pour détenir des crédits qu’elles accordent, et échapper ainsi aux exigences réglementaires de fonds propres adossés à ces crédits. Ils incluent également des établissements auxquels les banques accordent des garanties sous forme de lignes de crédit explicites et implicites (c.-à-d. qui ne font pas l’objet d’exigences de fonds propres réglementaires). Enfin, les dérivés de crédit produits via la titrisation (en général très bien notés et donc perçus comme des actifs sans risque) sont des actifs dans lesquels les banques investissent massivement, car ils leur servent de collatéraux pour s’endetter par le biais des contrats repo (« repurshase agreements »).

Graphique 3 : Expositions des banques européennes aux établissements du shadow banking (les points verts représentent les banques européennes, et tous les autres points les établissements du shadow banking auxquels elles sont exposées)

 

ESRB, rapport mai 2017

Etendre le dispositif macroprudentiel au-delà du secteur bancaire permettrait donc non seulement de préserver la capacité des intermédiaires financiers non-bancaires à financer directement et indirectement (via les banques) l’économie, mais également d’améliorer l’efficacité des mesures qui s’appliquent aux banques. La grande majorité des avis recueillis par la commission s’est montrée favorable à l’extension du dispositif. Certaines mesures ont d’ores et déjà été proposées par l’ESRB, comme par exemple les exigences de liquidité des bilans des fonds d’investissement [9], et les exigences de marges et décotesappliquées par les prêteurs lors des transactions de titres et produits financiers dérivés.

 

Conclusion

Avant la crise, la pensée dominante attribuait à la régulation prudentielle un seul objectif, celui de veiller à la solvabilité des établissements bancaires pris individuellement. Ce n’est plus le cas à présent. Le dispositif macroprudentiel est en cours de construction, et va bientôt être réformé. Le débat porte aujourd’hui sur la définition des objectifs, la calibration et les procédures d’activation des instruments, sur le design institutionnel du dispositif, ainsi que sur son champ d’application.

 

 

Notes

[1] L’usage macroprudentiel d’instruments microprudentiels est permis par l’article 103 CRD IV.

[2]G-SII et O-SII signifient respectivement « globally systemically important institutions » et « other systemically important institutions ».

[3]voir l’article 458 CRR

[4]Un instrument du même type est disponible en Suisse depuis 2012.

[5]Admati et al. (2013), Suarez (1998), Merton (1977), Jencen & Meckling (1976), Holmström & Tirole (1997)

[6]Prescott (2004), Mariathasan & Merrouche (2014)

[7]C’est le cas aux Pays-Bas par exemple, où les intermédiaires non-bancaires accordent une part importante des prêts hypothécaires.

 

 

Références

Admati, A. R., DeMarzo, P. M., Hellwig, M. F., & Pfleiderer, P. C. (2013). Fallacies, irrelevant facts, and myths in the discussion of capital regulation: Why bank equity is not socially expensive.

Basel Committee on Banking Supervision (2006). International convergence of capital measurement and capital standards : A revised framework. Basel, Switzerland : Bank of International Settlements.

Borio, C. (2011). La mise en œuvre d’un cadre macroprudentiel: un juste équilibre entre audace et réalisme. Revue d’économie financière, (1), 157-174.

BSI-Economics. (In)Stabilité financière, politique macro-prudentielle et régulation financière : un vaste chantier.

BSI-Economics. Comment une crise systémique se déclenche-t-elle ?.

Claessens, S., Pozsar, Z., Ratnovski, L., & Singh, M. (2012). Shadow Banking: Economics and Policy. IMF Staff Discussion, Note No. 12/12.

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Holmstrom, B., & Tirole, J. (1997). Financial intermediation, loanable funds, and the real sector. the Quarterly Journal of economics, 112(3), 663-691.

Merton, R. C. (1977). An analytic derivation of the cost of deposit insurance and loan guarantees an application of modern option pricing theory. Journal of Banking & Finance, 1(1), 3-11.

Mariathasan, M., & Merrouche, O. (2014). The manipulation of basel risk-weights. Journal of Financial Intermediation, 23(3), 300-321.

Prescott, E. S. (2004). Auditing and bank capital regulation.

Suarez, J. (1998). Risk-taking and the Prudential Regulation of Banks. Investigaciones Economicas, 22(3), 307-336.

 

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