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La numérisation et les compétences d’avenir (Policy Brief)

Dans leur livre « Race Against the Machine », publié en 2011, McAfee et Brynjolfsson prédisent qu’environ 50 % des emplois existants deviendront potentiellement automatisables à horizon 2030. Cette déclaration est à l’origine des craintes du chômage de masse comme conséquence du progrès technologique.

Cependant, des articles récents mettent en avant une perspective plus nuancée. En particulier, on ne s’attend pas à ce que des technologies telles que l’intelligence artificielle remplacent des professions entières, mais plutôt certaines tâches au sein de ces dernières (Brynjolfsson, Mitchell et Rock, 2018). De plus, l’adoption de nouveaux outils technologiques requiert une réorganisation générale des processus internes des entreprises et la redéfinition du rôle de leurs employés. Ces réorientations sont couteuses et nécessitent du temps, en atténuant ainsi le risque que l’accélération du progrès technologique dépasse la capacité d’adaptation des travailleurs.

 

Les métiers de l’informatique sont les plus exposés au progrès technologique

Les métiers les plus touchés par la révolution du numérique sont ceux qui lui sont directement liés. Deming et Noray (2020) trouvent que les compétences demandées dans les offres d’emploi en informatique sont celles qui ont le plus évolué entre 2010 et 2020.  La Figure 1, qui est tirée de leur article, montre que 50 % des compétences requises en 2019 dans les professions informatiques et mathématiques étaient inexistantes 10 ans auparavant.

Figure 1 : Rotation des besoins en compétences par catégorie professionnelle

Source: Figure tirée de Deming et Noray (2020)

En comparaison, les professions plus traditionnelles telles que les professeurs d’école ou les conseillers juridiques requièrent moins de 20 % de nouvelles compétences en 2019. Selon les auteurs, ce taux de rotation élevé génère une dépréciation constante du capital humain, obligeant les informaticiens à suivre des formations périodiques afin de rester qualifiés pour le poste.

Similairement, Beaudry, Green et Sand (2016) décrivent comment la demande de travailleurs hautement qualifiés a ralenti au cours de la première décennie des années 2000. Selon eux, cela est dû au fait que la première vague de technologies informatiques ait atteint sa maturité. Alors que de nombreux informaticiens étaient nécessaires dans la phase d’adoption et de diffusion de ces dernières, cela est moins le cas une fois que les outils sont en place. Nous pourrions nous attendre à ce qu’une dynamique similaire se produise avec la révolution de l’intelligence artificielle (IA), où le besoin de codeurs et de scientifiques des données va atteindre un pic au moment de l’adoption massive, et déclinera ensuite.

 

Exemples de compétences nouvelles et de compétences en voie de disparition

À titre d’exemple de nouvelle compétence, Brynjolfsson et McElheran (2016) décrivent comment l’utilisation de bases de données pour la prise de décision des managers, data-driven decision making en anglais, a presque triplé dans l’industrie manufacturière américaine entre 2005 et 2010, atteignant 30 % des usines à la fin de la période. La diffusion de cette pratique a nécessité la création d’outils numériques résumant les informations en temps réel et les rendant facilement accessibles. En outre, elle a requis un niveau minimal de connaissances techniques et statistiques de la part des managers, afin qu’ils soient en mesure de mobiliser les informations collectées pour prendre des décisions appropriées.

Un exemple de compétence en voie de disparition est la capacité de coder en Flash – un logiciel utilisé pour créer des jeux en ligne. En 2010, Steve Jobs a annoncé que Flash ne serait plus supporté par les appareils Apple ; une décision motivée en majorité par des considérations stratégiques plutôt que techniques[1]. En conséquence, le nombre d’offres d’emploi demandant des compétences en Flash a connu une baisse soudaine et importante. Horton, Tambe et Wharton (2019) décrivent comment, malgré la violente chute de la demande, les conditions salariales des codeurs Flash ne se sont pas détériorées. Cela est dû au fait que beaucoup moins de nouveaux diplômés ont postulé à des emplois nécessitant Flash, et que certains des codeurs Flash existants ont réussi leur transition vers d’autres emplois. Cet exemple montre que la disparition de la demande pour une compétence donnée ne doit pas nécessairement s’accompagner de difficultés pour les travailleurs concernés, tant qu’il existe des emplois disponibles exigeant des qualifications suffisamment proches pour permettre la reconversion.

 

Faciliter l’adaptabilité des compétences : un enjeu de politique publique

Certains articles académiques récents minimisent la menace que représentent les innovations technologiques et soulignent que les travailleurs peuvent s’adapter avec succès à l’évolution des besoins en compétences.

Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour faciliter cette adaptation. En particulier, un rapport de l’OCDE paru en 2021 identifie un ensemble de compétences transversales caractérisées par une forte demande dans une grande variété de professions. Certaines appartiennent à la catégorie des soft skills, comme la communication, le travail en équipe, l’organisation et le leadership, tandis que d’autres sont davantage de nature cognitive, comme les compétences analytiques, de résolution de problèmes et numériques.

L’évidence montre que le rendement de ces compétences transversales varie en fonction de la manière dont elles sont associées à d’autres compétences plus techniques et selon les rôles professionnels. Il convient donc d’aider les employeurs à proposer un apprentissage efficace tout au long de la vie à leurs employés afin qu’ils puissent développer la bonne combinaison de compétences transversales et techniques dont ils ont besoin pour prospérer dans un marché du travail digitalisé.

 

Références

Beaudry, P., Green, D. A., & Sand, B. M. (2016). The great reversal in the demand for skill and cognitive tasks. Journal of Labor Economics, 34(S1), S199-S247.

Brynjolfsson, E., & McAfee, A. (2011). Race against the machine: How the digital revolution is accelerating innovation, driving productivity, and irreversibly transforming employment and the economy. Brynjolfsson and McAfee.

Brynjolfsson, E., & McElheran, K. (2016). The rapid adoption of data-driven decision-making. American Economic Review, 106(5), 133-39.

Brynjolfsson, E., Mitchell, T., & Rock, D. (2018, May). What can machines learn, and what does it mean for occupations and the economy?. In AEA Papers and Proceedings (Vol. 108, pp. 43-47).

Deming, D. J., & Noray, K. (2020). Earnings dynamics, changing job skills, and STEM careers. The Quarterly Journal of Economics, 135(4), 1965-2005.

Horton, J. J., Tambe, P., & Wharton, U. P. (2019). The death of a technical skill. Unpublished Manuscript.

OECD (2021), OECD Skills Outlook 2021: Learning for Life, OECD Publishing, Paris.



[1]Bien que M. Jobs ait affirmé que la décision avait été prise pour des raisons techniques, beaucoup ont considéré qu’il s’agissait d’un prétexte, et que la véritable raison de ce retrait du soutien était le désir d’un plus grand contrôle de l’expérience des usagers sur les appareils Apple, en particulier l’iPhone (voir Horton, Tambe et Wharton, 2019 pour une description approfondie de cet épisode).

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