Cette courte note propose de décrypter un graphique marquant, en lien avec l’actualité économique. Ce Killer Chart revient sur la hausse des taux d’intérêt à 10 ans des obligations souveraines de la France (OAT10) en septembre 2024 et de l’évolution des spreads[1] obligataires relativement aux pays d’Europe du Sud.
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Pourquoi c’est intéressant ?
En septembre 2024, le spread obligataire souverain à 10 ans est devenu positif entre la France l’Espagne (première depuis 2008) et la France et le Portugal (fait inédit). Cela signifie que les taux d’intérêt français sont supérieurs à ceux de l’Espagne et du Portugal. Autrement dit, les marchés financiers considéreraient donc que la dette publique française serait désormais de qualité inférieure à celle des pays de la péninsule ibérique. Une situation d’autant plus préoccupante, que ce même spread se réduit également avec d’autres pays d’Europe du Sud (Italie, Grèce), pourtant en proie à une forte fragilité de leurs finances publiques.
Cette dégradation de la perception de l’état des finances publiques françaises est d’autant plus préoccupante qu’elle pourrait révéler un changement de tendance, où la France ne bénéficierait plus de la même « aura » après des marchés financiers pour financer/refinancer sa dette.
En effet, pendant la crise des dettes souveraines en 2012, l’appréciation par les marchés financiers de la santé des finances publiques des pays de la Zone euro a conduit à une séparation entre les « pays cœur » (avec des finances publiques soutenables) et les « pays périphériques », pour lesquels les risques perçus par les marchés étaient plus élevés. Parmi les pays périphériques, on comptait notamment l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Portugal. La France, à l’inverse, avait bénéficié d’un positionnement relatif plus favorable, parmi les « pays cœur », même si ses finances publiques étaient dégradées (grâce notamment à un « effet d’aura » et au poids relatif de son économie au sein de la Zone euro).
Pendant plusieurs années, les pays d’Europe du Sud ont mené des réformes budgétaires d’envergure afin de réduire leur déficit public et ont peu à peu bénéficier des conditions d’endettement plus favorables. Si cet écart entre la France et les pays d’Europe du Sud venait à s’accroitre sur la durée, il pourrait s’agir d’un signe avant-coureur d’une remise en cause graduelle de la soutenabilité des finances publiques en France et de la nécessité d’introduire des réformes budgétaires et structurelles probablement douloureuses.
Qu’en penser ?
Post élections européennes en juin 2024, la France est entrée dans une période politique mouvementée, propice à l’apparition de tensions sur les rendements et les spreads obligataires. Toutefois, la France semble avoir bénéficié d’un sursis jusqu’à début septembre, où l’évolution des rendements à 10 ans a été proche de celle de ses voisins européens. La formation tardive d’un gouvernement a engendré un décalage du calendrier parlementaire pour voter un Budget pour l’année 2025, qui aboutira dans tous les cas à un nouveau important déficit public.
C’est la combinaison de cet environnement politique sous tension, de creusement inéluctable du déficit public, d’un faible dynamisme économique et des incertitudes autour de l’urgence de consolider les finances publiques qui alimentent la tendance actuelle sur les spreads de l’OAT10. La crainte de voir certaines catégories d’impôts augmenter alimente une spirale de communication négative laissant imaginer une France au bord du précipice et en proie à « la faillite [2]», ce qui a tendance à brouiller le message et potentiellement auto-entretenir les tensions sur les spreads.
Il convient de rappeler ici que les fondamentaux de l’endettement public en France, même s’ils se détériorent, restent solides : une base d’investisseurs larges traduisant d’un appétit constant et renouvelé pour l’OAT, des rendements certes plus élevés mais qui restent malgré tout faibles et une maturité moyenne de la dette plutôt longue qui réduit le risque de refinancement. Le FMI rappelle à cet effet que le niveau de risque souverain reste faible en France[3].
Pour préserver ces bons fondamentaux, infléchir la trajectoire du déficit public est nécessaire et passe donc par une consolidation des finances publiques. L’urgence de réaliser des économies ne doit cependant pas prévaloir sur la nécessité de préserver certaines catégories de dépenses publiques incontournables pour notre croissance de long terme (éducation, santé, sécurité, voire transition énergétique). Tendre vers un excédent public primaire, même si nous en sommes très éloignés, ne doit pas être un objectif en soi, un excédent n’offrant pas de garanties particulières sur la perception du risque souverain et la réduction des spreads (l’Italie est en le meilleur exemple entre 2000 et 2019). Par ailleurs, toutes les analyses de soutenabilité de dette le mettent en avant : la principale contribution directe à la réduction de l’endettement public est généralement la croissance du PIB réel, plus que d’autres facteurs.
La question d’augmenter les recettes est épineuse, comme l’ont démontré les intéressants échanges de la Commission des Finances du Sénat de mai 2024, où l’élasticité des plusieurs catégories de recettes publiques est difficile à apprécier et dont les effets de surprise sont élevés sur le déficit public. En cas de réintroduction de l’impôt sur la fortune (ISF), cela augmenterait certes les recettes (même si son montant reste limité par rapport aux besoins actuels), mais pour en maximiser les effets sa conception doit également être revisitée (cf. le rapport de France Stratégie (2023)). De plus, la question du consentement à l’impôt dans le pays où la pression fiscale est parmi les plus élevée des pays de l’OCDE finirait par se poser.
La conception de nos dispositifs public est probablement la clef de voute du redressement de nos finances publiques à moyen terme, du côté des dépenses et des recettes. Pour y arriver, une évaluation systématique des politiques publiques apparait comme la première étape incontournable[4]. Ces évaluations objectivées permettront de poser les jalons de décisions politiques inévitables afin d’arbitrer et mettre fin à des programmes publics engendrant des effets d’aubaine, des rentes de situation aux effets distorsifs, pour effectuer une meilleure réallocation des fonds publics.
Dans un environnement de taux d’intérêt désormais plus favorable, permis par une politique monétaire plus accommodante de la Banque centrale européen, l’écartement des spreads le démontre : la France paye une prime de risque liée à son risque politique. La France doit donc également être en mesure d’adresser des solutions rapides pour contenir son risque politique. Ce risque politique est la résultante d’une détérioration de paramètres sociaux (par exemple la hausse de personnes en situation de pauvreté) mais aussi d’une perception parfois plus dégradée de la situation économique qu’elle ne l’est. Si la société française ne peut se faire l’économie d’un renforcement drastique de la qualité du débat économique et de la pédagogie, les mesures et réformes budgétaires devront également intégrer davantage d’équité.
V.L
Article fini d’être rédigé le 27 septembre 2024
[1] Un spread est un écart de taux d’intérêt, calculé en points de base. Les spreads mentionnés dans cet article correspondent à l’écart des taux d’intérêt pour les obligations à 10 ans payés par la France et ceux payés par d’autres pays de la Zone euro.
[2] L’utilisation du terme « faillite » est d’ailleurs un non-sens d’un point de vue sémantique (cf. ces éclairages de BSI Economics sur le sujet : 1 & 2), ce qui dénote d’ailleurs du faible niveau du débat économique en France, des incohérences et des partis pris souvent malheureux des certains « experts » au détriment de la pédagogie et de la diffusion des analyses et des informations.
[3] Cf. Article IV du FMI de juillet 2024, avec l’analyse sur le risque souverain et les différents scénarios en pages 53 à 62.
[4] Il s’agira notamment de ne pas répéter la suppression hâtive de certaines mesures sans évaluation poussée préalable, comme cela fut le cas pour l’ISF (cf. cette évaluation de l’Institut des Politiques Publiques de 2021).