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Comprendre la Taxe Rose et la Pinkflation (Note)

Résumé :

  • La taxe rose désigne une différence de prix systématique entre les produits et services destinés aux femmes et ceux destinés aux hommes, même lorsqu’ils sont similaires en termes de qualité ou de fonction.
  • La pinkflation reflète une augmentation disproportionnée des prix des biens destinés aux femmes, amplifiant les coûts de leur consommation en période d’inflation, avec des écarts de prix allant jusqu’à 46 % pour des prestations similaires. Aux États-Unis, la taxe rose représente une charge annuelle moyenne supplémentaire de 1 300 USD pour les femmes.
  • Une étude sur six pays européens montre que les ménages gérés par des femmes sont parfois moins exposés à l’inflation (Allemagne, Finlande) ou plus exposés dans des contextes spécifiques comme les ménages à haut revenu au Portugal.
  • La composition des paniers de consommation joue un rôle central dans les inégalités de coûts liés à l’inflation, les femmes ayant tendance à privilégier des produits moins sujets à de fortes hausses de prix.
  • Malgré l’attention médiatique sur la taxe rose, les données et études sur les différences de consommation et d’inflation par genre sont encore limitées, soulignant un besoin urgent d’approfondir cette recherche pour guider les politiques publiques.

 

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La taxe rose (ou « pink tax ») désigne la différence quasi-systématique de prix entre les produits et services destinés aux femmes et ceux destinés aux hommes, même lorsque les articles sont comparables en termes de qualité ou de fonction.

Ce phénomène ne se limite pas à une simple différence de prix entre des produits similaires ; il englobe également une disparité dans la composition des paniers de consommation. En effet, les femmes se retrouvent non seulement à payer plus cher pour des produits similaires à ceux des hommes, mais incluent aussi dans leur consommation courante des produits davantage exposés à l’inflation, un phénomène que l’on appelle la “pinkflation”. Ce terme désigne l’augmentation disproportionnée des prix des biens destinés aux femmes, souvent sans justification valable, mais qui contribue à l’augmentation globale des coûts pour ces dernières.

Cette note propose un état de l’art de la recherche et des données concernant cette taxe rose, qui, bien que significative en termes de poids dans la consommation féminine, demeure relativement peu étudiée. Nous aborderons dans un premier temps les différences de prix entre des articles communs aux paniers de consommation masculins et féminins, en mettant en lumière les produits exposés à la « pinkflation » précédemment mentionnée. Nous explorerons ensuite les disparités entre les paniers de consommation des hommes et des femmes, afin d’analyser comment ces différences de prix se manifestent dans les dépenses globales des femmes.

Des biens et services injustement plus chers pour les femmes

Les biens et services soumis à la taxe rose englobent une large gamme de produits de consommation quotidienne, tels que les articles de soin personnel (déodorants, gels douche, ou encore shampoings), les vêtements, les produits liés à l’hygiène féminine, mais aussi certains services comme les coupes de cheveux, les prestations de blanchisserie et même les réparations automobiles.

En restant dans le registre de l’hygiène corporelle, intéressons-nous maintenant au domaine de la coiffure. En 2018, l’association Consommation, Logement et Cadre de Vie a mis en lumière une discrimination tarifaire dans les salons de coiffure, où les tarifs appliqués aux femmes étaient systématiquement plus élevés que ceux destinés aux hommes. Selon une enquête réalisée auprès de 902 salons, un forfait « shampoing, coupe, séchage/coiffage » pour une longueur de cheveux similaire coûtait en moyenne 30,07 € pour une femme, contre 20,46 € pour un homme, soit un écart de plus de 46 %. La taxe rose en coiffure trouve ses origines dans la pratique de la mise en pli, une technique qui a longtemps été associée aux coupes de cheveux féminines. Historiquement, cette méthode nécessitait un temps considérable sous un casque chauffant pour fixer les cheveux, ce qui justifiait des tarifs plus élevés pour les femmes par rapport aux hommes.

La taxe rose s’applique dès le plus jeune âge, avec des écarts de prix entre les jouets destinés aux filles et ceux destinés aux garçons. Une étude américaine a révélé que les jouets pour filles coûtaient en moyenne 5,5 % de plus que ceux destinés aux garçons. Ainsi, l’exemple ci-dessous met en exergue une différence de prix de 3 € pour deux montres pour enfant dont la seule différence est la couleur. Le constat est le même concernant les vêtements destinés aux petites filles : il a par exemple été démontré en 2021 que les uniformes féminins étaient en moyenne 12 % plus chersque ceux des garçons au Royaume-Uni.

Le spectre de la taxe rose s’étend bien au-delà de ces deux exemples. Selon une étude du Government Accountability Office des Etats-Unis, les vêtements pour femmes coûtent en moyenne 8 % de plus que ceux pour hommes, et les produits d’hygiène féminins, comme les déodorants ou les gels douches discutés précédemment, peuvent être de 13 % plus chers. L’étude montre également que les femmes payaient jusqu’à 7 % de plus que les hommes pour leurs primes d’assurance automobile. Cette différence persiste même si les femmes, en moyenne, sont considérées comme des conductrices moins risquées que leurs homologues masculins, ce qui suggère que les compagnies d’assurance appliquent des tarifs plus élevés aux femmes en raison de stéréotypes de genre, et non d’une analyse réelle des risques. Les services de nettoyage à sec illustrent également cette disparité tarifaire.

Ainsi, il a été estimé que la taxe rose représenterait pour les femmes une charge supplémentaire moyenne de 1 300 USD par an aux Etats-Unis. Ce montant représente la somme que les femmes payent en plus pour des produits de consommation quotidiens comme les vêtements, les produits de soins et les jouets, mais également pour des services comme les coupes de cheveux ou l’assurance automobile.

Cette “pink tax” est dynamique par nature. D’une période à l’autre, elle peut soit diminuer, soit augmenter, comme le montre par exemple l’article du média britannique New Statesman, qui suggère que les prix des produits masculins ont moins été soumis à l’inflation que les produits féminins entre juin 2020 et juin 2021 au Royaume-Uni (cette augmentation de la Pink taxe est appelée “Pinkflation”). Le constat le plus marquant concerne les chaussures : entre juin 2020 et juin 2021, le prix des chaussures a augmenté de +76 % pour les femmes contre +14 % pour les hommes. Le prix des produits d’hygiène féminine (notamment les serviettes) tend lui aussi à augmenter drastiquement en période d’inflation.

Paniers de biens différents et exposition à l’inflation

Les femmes payent donc plus cher pour avoir accès à un panier de biens équivalent à celui des hommes. Toutefois, pour avoir une perspective globale des inégalités de consommation entre les hommes et les femmes, il est important de considérer non seulement les différences de prix, mais également les différences en termes de composition d’un panier de bien. Des paniers de biens différents, même s’ils ne devaient contenir que des articles qui n’étaient pas soumis à la pink tax, donnent lieu à des expositions à l’inflation qui peuvent être radicalement différentes.

Prenons un exemple simple pour expliquer cette question d’impact différencié de l’inflation (voir tableau ci-dessous). Il y existe 3 types de dépenses : logement, alimentation et tabac. Nous considérons deux types de ménages : les femmes vivant seules et leurs équivalents masculins. Ces deux types de ménages dépensent le même montant, mais leurs paniers de consommation diffèrent : pour les hommes, les dépenses liées au tabac sont relativement plus importantes que la moyenne des ménages. L’inverse est vrai en ce qui concerne les dépenses d’alimentation pour les femmes. Toutefois, l’inflation pour ces deux types de biens sont différents : le tabac a connu une inflation plus importante que l’alimentation.

L’inflation est calculée comme la moyenne de l’augmentation des prix de chaque type de biens, pondérés par leur part dans le panier moyen. Dans notre exemple, l’inflation s’élève donc à +3,25 %[1]. Toutefois, l’impact réel de l’inflation pour les hommes et les femmes est ici sensiblement différent, à cause de la composition différente de leur panier de biens : les hommes dépensent plus pour le tabac, qui a connu une inflation particulièrement forte. Ainsi, si les hommes veulent conserver leur panier de bien, ils devront augmenter leurs dépenses de 3,7 %, là où les femmes ne devraient augmenter leurs dépenses que de 2,8 %. Cela représente une différence de 90 points de base. Cette différence peut être décomposée en deux sources : les femmes dépensent relativement plus pour l’alimentation, un type de bien dont l’inflation est inférieure à l’inflation moyenne, ce qui fait mécaniquement baisser leur exposition moyenne à l’inflation par rapport aux hommes (de 22,5 points de base).[2] De manière similaire, elles dépensent relativement moins pour le tabac (dont l’inflation est supérieure à l’inflation moyenne), ce qui fait également baisser leur exposition moyenne par rapport aux hommes (de 67,5 points de base).[3]

  Part dans le panier moyen Part dans le panier moyen des hommes Part dans le panier moyen des femmes Inflation pour ce type de bien
Logement 60% 60% 60% +2,5%
Alimentation 25% 20% 30% +1,0%
Tabac 15% 20% 10% +10%
Inflation moyenne +3,25% +3,70% +2,80%

Malheureusement, il n’existe que peu d’études sur le sujet, faute de données détaillant la consommation par genre. Un seul papier fait état d’une consommation différenciée entre les hommes et les femmes dans 6 pays de l’Union Européenne, pour une période allant de 2021 à 2023. En Allemagne, Finlande et Hongrie, les ménages gérés par des femmes sont en réalité moins exposés à l’inflation. En Pologne, la situation inverse est observée puisque les ménages gérés par des femmes sont plus exposés à l’inflation. Le constat au Portugal et en Irlande est contrasté, puisque ces mêmes ménages sont plus exposés à l’inflation, mais uniquement lorsqu’il s’agit de ménages à haut revenu. Toutefois, cette même étude montre que les ménages gérés par des femmes dédient une plus grande part de leur consommation au chauffage et a l’électricité, ce qui fait que ces dernières sont plus exposées à l’inflation touchant ces items, dont les prix ont particulièrement augmenté ces dernières années post crise énergétique liée au conflit en Ukraine en 2022. Cela illustre l’importance de comprendre l’exposition de différents types de ménages à l’inflation, notamment pour optimiser le design des politiques de publiques.

Cet axe de recherche est également intéressant à l’égard de la littérature qui montre que les femmes ont tendance à percevoir plus d’inflation que leurs homologues masculins, sans pour autant démontrer que ces dernières y seraient en réalité peut être davantage exposées.

Les inégalités issues de la consommation, bien que souvent discutées dans les médias, sont encore mal comprises. D’un côté, il existe de très nombreux exemples et études montrant l’écart de prix qu’il existe entre les biens à destination des femmes et des hommes. Cette Pink Tax impose un poids économique supplémentaire aux femmes qu’il est difficile de justifier. Ce déséquilibre concerne de nombreux secteurs, allant des produits de soins personnels à l’habillement, en passant par les services comme la coiffure ou le nettoyage à sec.

De l’autre côté, les études et données concernant les paniers de biens et l’exposition différente à l’inflation sont actuellement trop peu nombreuses. Si les femmes semblent plus vulnérables à l’inflation portant sur l’énergie, les hommes semblent eux plus vulnérables aux augmentations de prix sur le carburant. Ainsi, en fonction du contexte économique et de la période étudiée, les inégalités en lien avec la consommation peuvent avoir des effets différents.

 

Article co-écrit par Caroline Perrin et Auguste Debroise

 

[1] (60% x 2,5%) + (25% x 1%) + (15% x 10%)

[2] 10% x (1% – 3,25%) = -0,225%

[3] -10% x (10% – 3,25%)

L'auteur

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