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Baisse des réserves de change des pays émergents et crainte d’un resserrement des conditions financières

 

Baisse des réserves de change des pays émergents : Faut-il craindre un resserrement des conditions financières ? (1/2)

Résumé :

·         Après avoir culminé à 8200 milliards USD en juin 2014, les réserves de change des pays émergents ont reculé de plus de 18%.

·         Cette tendance devrait être durable du fait du ralentissement de la croissance des pays émergents, du nouveau régime sur les marchés des matières premières et de la transition structurelle en cours dans plusieurs économies majeures de la zone, dont la Chine.

·         L’accumulation des réserves de change par les pays émergents avait eu des effets significatifs sur les taux d’intérêt souverains des économies avancées au cours des années 2000. L’inversion de cette tendance devrait avoir des retombées majeures sur ces taux par deux canaux : la liquidité mondiale et le réajustement des portefeuilles.

·         Malgré le recul des réserves de change des pays émergents, la liquidité mondiale ne baisse pas pour le moment. Ceci s’explique par la politique de stérilisation des pays émergents et la poursuite de l’assouplissement quantitatif dans les économies avancées.

 

 

La tendance au recul des taux d’intérêt souverains observée depuis plusieurs décennies dans les économies avancées est attribuée par la littérature académique à un excès croissant de l’épargne ex ante par rapport à l’investissement ex ante.

Une myriade de facteurs sont généralement avancés pour expliquer ce déséquilibre durable entre épargne et investissement désirés, dont l’expansion significative de l’épargne des émergents depuis la crise asiatique (Bernanke 2005). Cette hausse de l’épargne a eu pour corollaire une accumulation de réserves par les pays émergents qui constitue l’un des traits marquants de la transformation de l’architecture financière mondiale au cours des années 2000.

 Or ces réserves refluent aujourd’hui. Cette nouvelle tendance devrait avoir des conséquences majeures sur la valorisation des actifs dans les économies avancées et le financement de l’économie mondiale. Dans ce qui suit, nous revenons sur les déterminants de l’évolution des réserves en devises des pays émergents puis nous nous interrogeons sur l’impact de leur érosion sur le niveau de la liquidité mondiale.

1-      Réserves de change des émergents : de l’accumulation à l’érosion

Avec leur intégration croissante dans l’économie mondiale, leur plus grande participation aux échanges mondiaux et l’installation d’un régime de prix durablement élevés sur les marchés des matières premières au cours de la première décennie du siècle en cours, les pays émergents ont enregistré une accélération significative de leur revenu national. En parallèle, le taux d’épargne national n’a cessé de croître, passant de 22% du PIB des économies émergentes[1] à 33% en 2008. Cette tendance avérée est imputée à un ensemble de facteurs, dont le niveau modeste de développement du secteur financier dans les pays émergents, la répression financière, la faiblesse des systèmes de protection sociale, la structure institutionnelle ou la gouvernance des entreprises domestiques qui n’incite pas à maximiser les montants distribués aux actionnaires. A ces facteurs s’ajoutent la dynamique démographique, des facteurs culturels, la persistance des habitudes ou l’importance des inégalités (Ferrucci et Miralles 2007, Prasad 2009, Ma et Yi 2010).

De fait, avec l’accélération de la croissance et la hausse de l’épargne, les émergents ont enregistré un excédent courant moyen de 2% du PIB par an entre 2000 et 2014 (Graphique 1). Couplé avec un déficit du solde financier[2] dans le cas très particulier de la Chine, ce solde courant positif aurait dû se traduire par une appréciation importante des taux de change des devises émergentes qui a été évitée grâce à l’accumulation de réserves colossales en devises. Ces dernières ont culminé en juin 2014 à près de 8200 milliards USD, dont près de la moitié détenue par la Chine. Toujours marqués par le traumatisme des crises de balance de paiement des années 1980 et 1990, les pays émergents, en quête d’actifs liquides et assortis d’un faible risque de crédit, ont souvent recyclé ces réserves sur les marchés de dette souveraine des économies avancées, contribuant ainsi au reflux des taux longs et au développement du fameux « conundrum » qui a désorienté Alan Greenspan[3] (Greenspan 2005).

Graphique 1

Or l’épargne des émergents est actuellement en recul. La tendance sur les marchés des matières premières s’est inversée, et les cours devraient demeurer bien plus faibles que par le passé, notamment en ce qui concerne le pétrole (Arezki et Matsumoto 2016). La demande des économies avancées s’est durablement affaiblie et le commerce mondial manque de vigueur. Enfin, certaines économies émergentes, dont la Chine, sont en phase de transition structurelle vers un régime de croissance reposant davantage sur la consommation privée et requérant une baisse de l’épargne. De fait, d’après le FMI, l’excédent courant de la zone émergente s’est mué en 2015 en déficit qui devrait persister jusqu’en 2021au moins.

En parallèle, en Chine, au niveau du compte financier, les entrées de capitaux ont ralenti, et ont fini par se transformer en sorties de capitaux. Cette tendance pourrait être durable dans la mesure où elle constitue une « réponse endogène à la détérioration des perspectives de croissance et à l’affaiblissement des prix des matières premières », comme le notent Clark et al. (2016), même si les contrôles de capitaux pourraient la freiner à court ou moyen terme. D’après les estimations de leur étude, une hausse durable du différentiel de croissance entre un pays émergent et les économies avancées d’un point tend à être associée avec une hausse des entrées nettes de capitaux d’un quart de point de PIB. En ce qui concerne la Chine, c’est l’effet inverse qui est vraisemblablement observé : le différentiel de croissance avec les économies avancées devrait être de 4,4 points entre 2016 et 2020 contre 7,7 points entre 2000 et 2015, selon les estimations du FMI. Avec ce resserrement du différentiel de croissance, l’économie chinoise affiche donc des sorties nettes de capitaux[4] de manière ininterrompue depuis le T2 2014, soit sur onze trimestres consécutifs, un développement inédit depuis le milieu des années 1990, au moins.

La disparition de l’excédent courant (et la résorption du déficit du solde financier) devrait se traduire par une dépréciation des devises domestiques. Certains pays émergents majeurs, dont la Chine, tentent de lisser ou d’enrayer cette tendance en puisant dans leurs réserves, afin de limiter les retombées néfastes d’une baisse brutale du change sur la stabilité financière. Du fait de la politique de gestion du change, les réserves de change des émergents ont fondu de plus de  1400 milliards USD depuis juin 2014, la Chine représentant les deux tiers de cette baisse. Il convient toutefois de souligner qu’une partie de ce recul est simplement liée à un effet de valorisation, les réserves des émergents n’étant qu’en (bonne) partie investies en dollar (60%, selon une estimation consensuelle) alors que la devise américaine s’est appréciée de 23,5% en termes effectifs depuis la mi-2014, entraînant une baisse automatique de la valeur des avoirs investis en euros, yen ou livre sterling[5].

Graphique 2

 

2-      Réserves de change des émergents et liquidité mondiale :

Il reste que le reflux des réserves est bien réel et s’inscrit dans la durée. Cette tendance pose deux questions bien distinctes. La première touche à l’évolution de la liquidité mondiale dans son ensemble. La seconde à la détention de la dette souveraine des économies avancées. Ainsi :

1-      En ce qui concerne la liquidité mondiale :Les pays émergents sont source des deux-tiers de la croissance de la masse monétaire mondiale (M2). La baisse de leurs réserves en devises devrait, toute chose égale par ailleurs, générer une contraction des bilans de leurs banques centrales. Serait-il donc légitime de craindre un « resserrement quantitatif » (« quantitative tightening ») qui prendrait le contrepied de l’assouplissement quantitatif mis en place dans les économies avancées (Bloomberg, 2 septembre 2015, 19 septembre 2016) ?

2-      En ce qui concerne la détention du portefeuille d’actifs sans risque émis par les économies avancées :Si l’accumulation de réserves de change par les émergents avait entraîné une baisse des taux d’intérêt souverains dans les économies avancées, leur recul ne devrait-il pas pousser ces taux à la hausse ? Autrement dit, si une causalité fonctionne dans un sens, ne devrait-elle pas fonctionner dans le sens opposé ?

Dans ce qui suit, nous tenterons d’apporter un éclairage en ce qui concerne la première question et laisserons la réponse à la deuxième à  la deuxième partie de cette note.

 Sur le plan mondial, le recul du stock de réserves des pays émergents pourrait générer une contraction des bilans des banques centrales concernées uniquement si ces dernières ne stérilisent pas leurs interventions sur le marché des changes[6]. La stérilisation peut emprunter différents canaux (facilité de « repo », « open market », etc.) et s’accompagner de mesures complémentaires (baisses des réserves obligatoires),afin de limiter, voire de compenser, l’impact du recul des réserves sur la masse monétaire. En Chine, le total des actifs de la PBOC s’est contracté en glissement annuel entre septembre 2015 et juin 2016, reculant, en pourcentage du PIB, de plus de 53% fin 2013 à 46% au T4 2016. Néanmoins, l’abaissement des ratios de réserves obligatoires de 300 points de base depuis janvier 2015 a permis d’accroître le multiplicateur monétaire. De concert avec l’intensification des injections de liquidités au T1 2015 et sur l’ensemble de 2016, ceci a alimenté une croissance continue de l’offre de monnaie. L’agrégat M2 a ainsi culminé à un record historique de 208% du PIB fin 2016, contre 186% trois ans plus tôt et ce malgré les sorties de capitaux et la baisse des réserves en devises.

Dans l’ensemble, la politique de stérilisation des émergents et la poursuite de l’assouplissement quantitatif dans plusieurs économies avancées ont permis à la masse monétaire mondiale de continuer de progresser. L’offre de monnaie a ainsi atteint au T4 2016 un plus haut historique de 110% du PIB mondial selon nos estimations (Graphique 3). Elle ne semble guère souffrir donc du recul des réserves des émergents.

Graphique 3

* Estimations d’après un échantillon de pays représentant 84% de l’économie mondiale. M2 est estimé comme étant la somme des ratios des agrégats au PIB en devise domestique, pondérés par le poids de chaque pays dans le PIB  mondial estimé en PPP, afin de l’imiter les effets de valorisations importants que pourrait générer une estimation en taux de change courant.

Sources : Autorités nationales, FMI, estimations BSI Economics

Conclusion :

Tendance durable, la baisse des réserves des pays émergents n’a encore guère de retombées négatives sur le niveau de liquidité mondiale. Dans l’avenir, elle pourrait déboucher sur un « quantitative tightening » (QT) en cas d’arrêt de la stérilisation actuellement poursuivie par les banques centrales concernées. En parallèle, un arrêt partiel du «rollover» sur les actifs détenus par la Fed pourrait également favoriser l’avènement du QT. Cette mesure évoquée récemment de manière croissante dans le débat public pourrait avoir des conséquences non négligeables sur l’économie mondiale qui sont difficiles à estimer en l’absence d’un consensus autour de l’impact du QE sur les prix des actifs et de sa transmission à l’économie réelle.

 


[1]Telles que définies par le FMI.

[2]Autrement dit, une accumulation de passif extérieur, hors variation des réserves.

[3]Dans son allocution du 17 février 2005 au Sénat américain, Alan Greenspan, président de la Fed à l’époque, a qualifié de « conundrum » -mystère- la tendance à la baisse des taux longs aux Etats-Unis en dépit d’une hausse de 150 points de base du taux de référence de la Réserve Fédérale.

[4]Calculées comme étant la somme du solde financier et des « erreurs et omissions » de la balance des paiements.

[5]La ventilation exacte par devise des réserves de change étant inconnue à l’échelle agrégée comme pour la Chine, le calcul des effets de valorisation procédant de l’appréciation du dollar s’avère impossible. A titre d’illustration, l’on peut noter qu’un pays dont la stratégie de placement des réserves de change répliquerait les pondérations du panier constitutif du SDR avant l’inclusion du yuan dans cet ensemble aurait vu ses réserves fondre de 10% entre le T2 2014 et le T4 2016 du fait de l’appréciation du dollar.

[6]Lorsqu’une banque centrale vend une part de ses réserves en devises, elle reçoit en échange une certaine quantité de monnaie nationale qui est alors retirée de la circulation. L’offre de monnaie s’en trouve réduite à l’échelle domestique. Inversement, lorsqu’elle accumule des réserves en devises,  la banque centrale accroît l’offre de monnaie domestique. La stérilisation consiste pour la banque centrale à compenser l’effet des interventions de change sur l’offre de monnaie nationale à travers des injections ou des retraits de liquidités.

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