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Bénédicte Kukla, « Un peu trop tôt pour crier victoire »

Bénédicte Kukla est économiste au sein de la banque Crédit Agricole SA. Spécialiste des pays dits de la périphérie en Zone Euro (Espagne, Irlande, Grèce et Portugal), Bénédicte Kukla évoque avec BSI-Economics la situation économique de ces pays et les enjeux à venir pour sortir de la crise.

 

Le processus de désendettement (secteur public et privé) est maintenant plus qu’amorcé pour les pays de la périphérie, au stade actuel cela a-t-il globalement bénéficié à ces économies ou plutôt constitué un frein ?

 

BK – Aujourd’hui en Zone Euro, nous avons seulement constaté les effets dévastateurs des politiques d’austérité budgétaire : chute de la consommation, fuite des capitaux étrangers, réduction drastique de l’investissement public, etc. De plus, malgré les efforts conséquents pour réduire la dette du secteur public et du secteur privé, le processus de désendettement est à ce stade loin d’être terminé. Le stock de dette, notamment dans les pays de la périphérie de la zone euro, reste très élevé et aucun pays n’a réussit, pour l’instant, à stabiliser sa dette. Cela étant dit, la faible reprise de l’activité, tirée par les exportations, prévue en 2014 dans la plupart des pays de la périphérie, devrait faciliter le processus de désendettement. Mais les risques persistent car nous continuions à avoir un problème de dosage de l’austérité budgétaire en Zone Euro. Par exemple, le budget 2014 du Portugal annonce un effort budgétaire encore draconien, ce qui pourrait à nouveau endommager la reprise, déjà fragile. A plus long terme, le processus de désendettement devrait permettre à ces économies de repartir sur des bases plus saines. Sans réduction de la dette, ces pays devront consacrer 4/5 points de leurs PIB à couvrir les paiements d’intérêt, soit autant des ressources perdues.

 

Les pays de la périphérie doivent-ils poursuivre leur effort de dévaluation pour gagner davantage en compétitivité ?

 

BK – Étant dans une union monétaire, il est impossible pour ces pays de dévaluer leurs monnaies pour regagner en compétitivité. La solution apparaît donc de dévaluer les prix et notamment les salaires. Mais, la situation est beaucoup plus complexe que cela. Peut-on vraiment demander à un pays comme le Portugal de réduire davantage leurs salaires alors que le salaire minimum avoisine les 600 euros par mois ? La question de la compétitivité n’est pas qu’une question de salaires. Elle dépend également de la spécialisation industrielle du pays, de la fiscalisation des entreprises et de l’investissement dans l’innovation et l’infrastructure. Ces sujets doivent impérativement être traités dans leur ensemble pour durablement restaurer la compétitivité.

 

Le 7 octobre, la Grèce a présenté son avant projet de budget pour 2014. Malgré de nombreux efforts, salués entre autre par le FMI, la purge de la dette publique semble toujours être problématique. Un nouveau cycle de négociations entre la Grèce et ses créanciers pour alléger la dette est-il concevable?

 

BK – Avec une dette à 176% du PIB prévu fin 2013, la dette publique grecque parait difficilement soutenable. Néanmoins, l’objectif aujourd’hui est déjà de stabiliser la trajectoire de la dette publique. L’opération de restructuration de la dette détenue par le secteur privé (PSI) effectué en 2012 et la renégociation des paiements d’intérêt concernant les prêts accordés par l’UE en 2013, ont déjà considérablement réduit les paiements annuels d’intérêts sur la dette grecque. De plus, la Grèce devrait avoir un solde budgétaire primaire (hors paiements d’intérêt sur la dette) à l’équilibre en 2013 et un excèdent de 1,5 points de PIB en 2014 selon le FMI. Il reste encore un long chemin, mais la Grèce est venu de très loin, le solde primaire était à 10,5% du PIB il y a seulement quatre ans. Le pays a également l’avantage, par rapport aux autres pays de la périphérie, d’avoir un problème d’endettement centré principalement dans le secteur public. L’endettement du secteur privé grec était à 124% du PIB en 2011 contre 281% en Irlande, 223% au Portugal et 204% en Espagne.

 

Le programme structurel conditionné au prêt du FMI à l’Irlande arrive à terme en fin d’année, peut-on en conclure à une réussite et à une reprise durable de l’activité économique irlandaise ?

 

BK – Il est, à mon avis, un peu trop tôt pour crier victoire en Irlande. Le pays a des atouts considérables (flexibilité du marché du travail, secteur exportateur développé), qui lui ont permit de regagner assez rapidement la confiance des marchés financiers. Aujourd’hui, le taux de rendement demandé par les investisseurs pour un titre d’état irlandais est inferieur à celui de l’Italie. Paradoxalement, le déficit public irlandais sera le plus élevé en zone euro en 2013 (à 7,5% du PIB), et la dette publique est au même niveau que le Portugal (à 123% du PIB). Le secteur bancaire doit encore supporter une masse de créances douteuses, dans un contexte de profitabilité faible. En effet, si le secteur exportateur est toujours en pleine expansion, la demande interne reste fortement « abattue » après trois ans d’austérité. Les prix immobiliers se stabilisent, mais ce après une baisse de plus de 50% depuis leurs pics en 2008. Le taux de chômage baisse, mais reste encore très élevé. La croissance du PIB a été fortement révisée en 2012 (de 0,9% à 0,1%), et elle baisse depuis deux trimestres. Les perspectives s’améliorent pour 2014. Le FMI prévoit une accélération du PIB de 1,7% après 0,6% en 2013. Toutefois, dans ce contexte toujours difficile, les irlandais eux même ont du mal à comprendre pourquoi ils sont considérés comme un pays modèle.

 

Les pays de la périphérie ont été plutôt chahutés ces dernières années sur les marchés financiers, peut-on espérer qu’ils soient désormais un peu épargnés ? Un retour du Portugal sur les marchés pour 2014 est-il concevable?

 

BK – Au Portugal, le budget 2014 est très ambitieux (une réduction de 2,3 points de PIB du déficit). L’objectif reste toujours le même : renforcer la crédibilité du gouvernement vis-à-vis des investisseurs étrangers. Toutefois, certaines mesures du budget 2014 devront éventuellement passer devant la Cour constitutionnelle. La Cour a un rôle relativement important au Portugal, et bien qu’elle ne remette pas en question le programme de réduction du déficit, elle est apparue jusque-là beaucoup plus défavorable à l’égard des mesures ciblées sur les dépenses que sur les hausses d’impôts. Les taux d’intérêt souverains portugais ont baissé depuis la crise politique de juillet 2013, mais restent encore très élevés (à 6,1% le 25 octobre). Les besoins de financement de l’Etat sont couverts pour 2013 et pour une bonne partie de 2014. Il restera néanmoins 10 Mds€ à financer en 2014 alors que le programme d’aide de la Troïka prend fin en juin. Pour ménager la transition vers un retour sur les marchés en 2014, le gouvernement pourrait demander une ligne de crédit préventive au Mécanisme de stabilité européenne (MES). Les conditions de la ligne de crédit doivent encore être précisées et pourront changer si le Portugal décide de puiser dans les fonds mis à sa disposition. Cet instrument d’assistance financière n’a pour l’instant jamais été utilisé. Les Portugais observent avec attention le déroulement des événements en Irlande, où le programme de sauvetage s’achève le 15 décembre.

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