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Récession et taux négatifs : vers une stagnation séculaire ? (Policy Brief)

Actualité : La probabilité de récession a augmenté depuis le début d’année pour plusieurs économies. Dans ce contexte, plusieurs analyses avertissent sur un risque de stagnation séculaire qui limiterait la possibilité de baisser à nouveau des taux déjà négatifs.

La stagnation séculaire n’est pas une idée nouvelle étant donné qu’elle a été théorisée pour la première fois par Alvin Hansen, disciple de John Maynard Keynes dans les années 1930. Hansen pensait qu’une érosion simultanée de la croissance démographique et des progrès technologiques diminuait les opportunités d’investissement. L’épargne privée ne trouverait donc pas de débouchés tant que l’État n’engageait pas de politique de relance afin de revigorer la demande. 
Du fait des forts taux de croissance observés après la seconde guerre mondiale, la théorie a été largement oubliée, jusqu’à ce que Lawrence Summers, économiste à Harvard, la remette au goût du jour en 2013 (voir à cet effet un précédent article de BSI Economics sur le sujet). Il suggère en effet que les pays développés entrent dans une période de stagnation séculaire.

Selon les tenants de cette théorie, plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour appréhender le potentiel de croissance d’une économie :

– la démographie, la production potentielle d’un pays dépendant du nombre de travailleurs disponibles et leur productivité ;

– le niveau des inégalités, les individus les plus riches ayant une propension à consommer plus faible que les plus pauvres, un haut niveau d’inégalité tend à diminuer la consommation (voir cet article de BSI Economics pour plus de précisions), et donc la croissance.

Or, dans les pays développés, la croissance démographique est effectivement faible (la population allemande diminuerait dans les prochaines décennies, la population britannique resterait stable et la population américaine devrait croitre très faiblement), les inégalités croissantes et les salaires réels stagnent. Tous ces facteurs combinés ont conduit les taux d’intérêt à diminuer sensiblement, l’épargne privée ne trouvant que peu d’opportunités d’investissements dans l’économie.

Ces facteurs montrent, selon Lawrence Summers et les tenants de la théorie de la stagnation séculaire, que les pays développés ne pourront retrouver des niveaux de croissance élevés.

 

Un taux réel trop négatif et une inflation faible conduirait à une stagnation séculaire

Pour stimuler l’activité économique par la demande privée, une solution est de diminuer le taux d’intérêt réel (taux d’intérêt nominal moins l’inflation). Cette possibilité est cependant limitée si l’inflation est trop faible, voire négative (en raison par exemple de surcapacités de production). Une baisse du taux d’intérêt nominal est alors nécessaire pour permettre au taux d’intérêt réel d’être suffisamment bas.

Or, abaisser le taux d’intérêt nominal à un niveau négatif est difficilement applicable en raison de contraintes légales (États-Unis) ou de taux nominaux déjà négatifs dont de nouvelles baisses pourraient pénaliser la profitabilité du système bancaire. Une inflation trop faible couplée à des rendements réels déjà trop négatifs seraient susceptibles de conduire à une stagnation séculaire.

 

De plus, la mise en place d’une telle politique pourrait induire d’importants débordements (spillovers), tels qu’observés sur les marchés émergents lors de la mise en place de politiques monétaires accommodantes par les banques centrales de pays développés (principalement la FED).

En effet, l’abaissement des taux directeurs et donc des taux d’intérêts pousse l’épargne privée à chercher des débouchés rémunérateurs, dans les pays émergents notamment. Ces mouvements de capitaux peuvent alimenter des bulles financières dans les pays émergents, et contribuent à une augmentation de la volatilité financière dans ces pays.

 

Quatre arguments qui rejettent le risque de stagnation séculaire résultant de la rigidité des taux négatifs

1.     Les pressions déflationnistes restant contenues dans l’ensemble des économies, elles ne permettent pas d’identifier une quelconque stagnation séculaire. Les composantes prix alimentaires et de l’énergie devraient même réduire leur contribution négative, tandis que les salaires poursuivent leur progression modérée au Royaume-Uni et aux États-Unis.

2.     Les États-Unis et le Japon ne sont pas en situation de surproduction. Tout comme l’ensemble des pays développés.

3.     Or, une des conditions nécessaires d’une stagnation séculaire serait une surproduction financée par une dette excessive. Cette condition n’est donc pas atteinte dans les pays développés actuellement.

4.     Le taux d’intérêts réel reste inférieur au taux de croissance japonais et américain. Il est de même inférieur au taux d’intérêts d’équilibre, quand bien même ce dernier devait effectivement se situer aux alentours de 0.

 

Conclusion

Loin d’être une réalité déjà effective, la théorie de la stagnation séculaire de Lawrence Summers pointe cependant du doigt les difficultés actuellement rencontrées dans l’économie mondiale. Si la croissance ne repart que difficilement dans les pays développés depuis la crise financière de 2008, et que la question se pose désormais sur la nécessité d’application de taux directeurs négatifs par les banques centrales, les conditions nécessaires à l’identification d’une stagnation séculaire ne semblent donc pas réunies dans les pays développés.

 

Rédigé par Thomas Lorans

 

Référence : « Why stagnation might prove to be the new normal », Lawrence Summers, Finacial Times, 2013

 

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