Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

La Minute BSI Economics : « le risque souverain devrait s’accroitre dans les pays émergents » (Interview)

Victor Lequillerier, économiste chez BSI Economics, répond à 3 questions sur la dégradation des finances publiques dans les pays émergents liés à la crise du Covid-19.

BSI Economics – Quel est le bilan de la crise du Covid-19 pour les finances publiques des pays émergents ?

Victor Lequillerier – Pour faire face à la crise du Covid-19, les Etats ont été amenés à soutenir l’activité économique en augmentant certaines catégories de dépenses (santé, transferts sociaux notamment) dans un contexte de recul des recettes (contraction de l’activité, suspension / report de taxes). Ces politiques de soutien ont pesé sur les finances publiques, menant dans la majorité des cas à une situation de déficit du solde public et de hausse de la dette publique[1].

Très rapidement s’est posée la question suivante : comment couvrir ces déficits publics ? Pour les financer, l’ensemble des « procédés classiques » ont été mobilisés : levées de dette obligataire, prêts des organismes multilatéraux (surtout Banque Mondiale et Fonds Monétaire International), dons de pays partenaires, soutien des politiques monétaires non-conventionnelles (voire monétisation du déficit par certaines Banques centrales), etc.

Par ailleurs, l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD)a été lancée afin que 73 pays puissent, s’ils le souhaitaient, différer le paiement du service[2] de leur dette externe publique dû à des créanciers bilatéraux (des Etats) pour les années 2020 et 2021.

L’ensemble de ces mesures et un appétit plus prononcé des investisseurs dès le second semestre 2020 pour les placements risqués ont finalement évité la crise de liquidité redoutée à l’aube de la crise. Contre toute attente, les taux d’intérêt souverains ont même atteint un point bas historique fin 2020 dans la majorité des pays émergents, bénéficiant de la hausse de la liquidité mondiale et des politiques monétaires accommodantes.

En supposant que la crise sanitaire trouve une issue rapide, les risques liés aux finances publiques sont-ils désormais derrières les pays émergents ?

Au contraire, nous entrons dans une ère où le risque souverain devrait s’accroitre dans les pays émergents.

Si une crise de liquidité a été évitée sur la période 2020-2021, ce risque n’est toutefois pas définitivement écarté à moyen terme. C’est particulièrement le cas pour les pays qui faisaient déjà face à un risque de solvabilité élevé avant la crise du Covid-19[3] (Haïti, Laos, Tadjikistan, Zambie par exemple).

Ce risque de solvabilité a d’ailleurs probablement joué un rôle non négligeable en 2020. Il a pu contribuer dans plusieurs pays à limiter la capacité d’interventions des Etats[4], compte tenu de marges de manœuvre budgétaires initialement plus réduites (Tunisie, Sri Lanka). Même dans des pays où le niveau d’endettement demeurait relativement faible, la crainte de voir la situation budgétaire se dégrader trop rapidement a pu conduire à des soutiens budgétaires de moindre ampleur (Pérou, Philippines) relativement à d’autres pays.

Par ailleurs, certaines économies émergentes ne présentant pas de fragilités significatives ressortent de la crise du Covid-19 avec des marges budgétaires désormais plus réduites (Colombie, Maroc). Cette évolution va très probablement les amener à consolider leurs finances publiques en 2022, certains pays ayant déjà pris ce chemin dès 2021 (Algérie, Equateur).

Quelles sont les issues potentielles à cette situation ?

En dehors de l’ISSD, peu de solutions concrètes ont été mises en place à ce stade. Et encore, cette forme de soutien est très limitée, ne concernant qu’une faible part des créanciers (les montants qui ont été différés ne représentaient que 24 % du service total de la dette des pays concernés en 2020).

Si la participation de créanciers bilatéraux non-membres du Club de Paris (Chine, Arabie Saoudite notamment) à ce type d’initiative est une avancée, le prolongement de l’ISSD et la mobilisation d’autres créanciers est actuellement débattue. Pour être efficace, elle ne peut être prolongée mais transitoire, afin d’offrir du temps pour envisager des actions plus ambitieuses (moratoire, restructuration de dette).

Dans les semaines à venir, BSI Economics sera amené à publier des analyses sur les différentes options existantes, particulièrement les restructurations, qui semblent inévitables dans certains pays, surtout en Afrique Subsaharienne. Cependant, le cas récent du Liban montre malheureusement que les restructurations de dette publique sont des procédures hautement complexes et que pour éviter à certaines économies de plonger dans des crises profondes, « il vaut mieux prévenir que guérir ».



[1] L’endettement public moyen dans les pays émergents hors Chine est passé de 51,9 % du PIB en 2019 à 61,4 % du PIB en 2020.

[2] Le service de la dette correspond aux montants des paiements à effectuer sur une période donnée, ici une année, pour rembourser ses créanciers. Ces montants intègrent le principal et les intérêts.

[3] 51 % des pays à faibles revenus enregistraient un risque élevé de surendettement en 2019 contre 23 % en 2013.

[4]Selon le FMIle stimulus fiscal a été en moyenne de +3,6 % du PIB au sein des économies émergentes en 2020, contre +10 % pour les économies avancées.

 

L'auteur

Plus d’analyses